Le char de l’Institut du Monde Arabe à la Techno Parade et la couverture de Trax “Maghreb, la puissante” en témoignent, les musiques arabes triomphent enfin sur nos dancefloors. Cette effervescence est le résultat de l’acharnement sans fin d’artistes, de labels et de collectifs, dont l’impressionnante DJ Dziri qui a chamboulé la scène de Toronto puis de Bruxelles, et vient de sortir son tout premier EP, Glimpse Of An Eye.

Révélation en warehouse

Sara grandit à Anvers d’une mère flamande et d’un père tunisien. Elle est très vite baignée par la culture de son père, féru de musique, qui lui inculque les musiques traditionnelles et folkloriques de sa région natale. Plus jeune, elle fouille déjà dans son immense collection de cassettes et de vinyles comme dans une malle au trésor, elle qui se souvient avoir toujours été intéressée par les arts sans pour autant en faire une passion.

Le vrai déclic vient à 19 ans, au fond d’une warehouse sombre lors d’une soirée Catclub. Un choc, voir une révélation pour Sara qui comprend tout de suite su qu’elle veut être DJ. Comme la vierge à Lourdes, le saint de la techno fait son apparition ce soir-là, dans la pénombre d’une soirée techno indus bruxelloise. Son entourage n’étant pas du tout initié, elle apprend seule, fouillant les mémoires d’internet. Très rapidement elle commence à jouer dans les bars de Bruxelles en se formant au mix. Côté styles, elle commence par jouer un peu de tout, sans forcément se poser de questions.

De Toronto à Boiler Room

Au bout de quelques années de mix, Sara se pose la question sur son identité musicale. C’est bien connu, dans la musique il “faut” avoir une étiquette, une réponse claire à la question « tu joues quoi ? ». La musique arabe semble alors une évidence, bien qu’en Belgique, il n’existe à l’époque pas vraiment de DJ avec ces influences.

Sa détermination est la clé de son succès. : même lorsqu’elle part avec un PVT au Canada, elle cherche tout de suite à mixer, et fini par créer un premier concept de soirées électro-orientales, les Souk Sessions. Bien lancée à Toronto, mais sans un réel avenir par manque d’artistes du genre et voyant la fin de son visa arriver, elle rentre en Belgique.

De retour à Bruxelles, elle y ramène aussi son concept Souk Sessions. Elle commence une résidence dans un lieu multidisciplinaire à Bruxelles, ce qui lui donne la possibilité d’incrémenter ses mix de projections visuelles. Très active, Dziri joue le plus possible et se taille une solide réputation. Si bien que lorsque Boiler Room vient pour organiser un événement à Charleroi, c’est à elle qu’ils envoient une invitation pour faire le warm up.

Tout ça l’encourage à continuer et à créer un nouveau concept de soirées, plus ouvert musicalement : Not Your Techno. Comme un affront à ce genre sacralisé qui sonne aujourd’hui aussi creux qu’un top DJ Mag, Not Your Techno entend ouvrir de nouvelles possibilités avec des connexions plus larges et en s’orientant vers une musique plus hybride que le moteur de la dernière Toyota.

dj dziri souk sessions

Faire le pont

Quand DJ Dziri mixe, ça sonne souvent comme une infusion de flûtes sous fond de bassline bien acides. Ses mix sont un savoureux mélange de techno industrielle et d’acid house, doublés d’instruments et de chants tunisiens. Ça ne plaît pas forcément au public arabe qui lui préfère sa musique traditionnelle. Et ca ne plaît pas toujours au public électronique, habitué aux sons 4/4 puissants des warehouses. Le pont est encore à bâtir. Dziri ne choisit pas la facilité, mais elle choisit sa voie. Elle s’intéresse notamment au répertoire du folklore tunisien, dans une volonté de renouer avec cette musique du peuple, anti-système et politique. C’est presque un travail d’anthropologue qu’elle opère désormais, recherchant pour ses compositions des instruments rares comme la Zukra ou le Mezoued, des cornemuses tunisiennes. Autant d’empreintes musicales qu’elle conjugue avec la musique électronique, créant une nouveau lien entre ces deux cultures.

C’est en France qu’elle trouvera en premier son public, là où la scène électro-arabe s’est d’avantage développée et où on voit défiler depuis plusieurs années Deena Abdelwahed, Habibi Funk, Amar du Désert, ou encore ڭليثرGlitter٥٥. La France voit aussi des collectifs dédiés comme Fille de Blédards se créer, mais aussi des labels comme Blue Night Jungle. Une articulation bien solide de créations et de personnes s’activant autour de cette nouvelle effervescence liée aux musiques arabes.

Créer de nouveaux rythmes

Cet élan et la popularité grandissante de ces croisements musicaux convainc Dziri de se mettre à la production, et elle en sort en août dernier un premier EP « Glimpse Of An Eye ». Elle souhaite avant tout créer de nouveaux rythmes sur la base des rythmes maghrébins. La flûte tunisienne Nay devient le chef d’orchestre du deuxième morceau, hypnotisant les oreilles qui l’écoutent, aussi efficace qu’un kick. La danse ne se cale plus sur le kick en 4/4 mais sur le groove amené par la flûte, tantôt transpercé par une balade transe ou une voix interpellante. Globalement, que ce soit avec She’s a Creep ou We Live in Hope, Dziri manipule aisément les codes club, avec des rythmes envoûtants qui flirtent avec l’acid et quelques rappels aux délirantes mélodies du raï.

En seulement trois titres auto-produits, Glimpse Of An Eye détourne la techno classique et agit comme une introduction à l’univers de Dziri, celui d’une artiste qui a espoir que sa patte retentisse dans les sphères électroniques. Une première ouverture vers la production qui, on l’espère, s’étoffera pour devenir pérenne.

Il y a peu de temps, elle a joué pour la première fois en Tunisie avec Ammar 808. Une forme de consécration pour elle qui n’a pas évolué dans la scène locale, mais compte bien y laisser quelques empreintes. Avec une première Boiler Room en septembre, la scène électronique en Tunisie s’étend, s’active et s’exporte au delà des frontières du pays. Le folklore musical maghrébin n’a quant à lui jamais été aussi riche et précieux pour les artistes issus des deux rives de la Méditerranée, et les trésors qu’il contient n’ont pas fini de nous régaler.

Crédit photo : Ichraf Nasri

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