Faire passer des couplets romantiques dans le rap sans tomber dans le cliché mellow mellow, c’était un pari risqué. Pourtant Krisy, le rappeur producteur ingénieur belge, star de tous les beats francophone du moment, a su imposer son style sans fausses notes, donnant un nouveau souffle à cette scène parfois saturée.

Il veut commencer dans le rap, mais la difficulté de percer dans la scène belge quelques années auparavant le pousse vers une autre discipline du genre. Il se dirige donc d’abord vers l’aspect technique et devient ingénieur du son. Comprendre la musique dans sa globalité, maîtriser la production et percer dans le milieu, tel est son souhait dès ses débuts. Passionné de musique, il se nourrit de tutoriels et acquiert les connaissances suffisantes pour passer à la pratique.

Très vite, au gré des rencontres, il croise celui qui propulsera sa carrière : Damso. Les textes pleins les poches, le rappeur cherche à se produire, et Krisy va lui apporter la pièce manquante à ses ambitions. Comme un psychologue d’artiste, il guide le rappeur dans ses pensées et ses idées, pour construire in fine une production sur mesure. L’ingénieur doit avoir un temps d’avance sur l’artiste, c’est lui qui a la vision, le plan long terme bien ficelé. L’album Batterie Faible en cours de route, un upload sur Instagram va changer la donne, attirant l’oreille d’un certain Booba, qui sortira convaincu de cette nouvelle plume et proposera son featuring.

Paris c’est loin est né, l’hymne se propage sur les ondes et le public découvre alors Damso, déjà aux oreilles des connaisseurs mais pas de la masse. Le rap c’est un bonus, ça l’amuse, il utilise les deux casquettes, celle d’ingénieur du son avec le pseudo De la Fuentes et celle d’interprète avec Krisy. Son écosystème personnel semble durable, la première facette permettant de financer la deuxième. Il profite du succès de Damso pour travailler sur des prods personnelles. Menthe à l’eau est une comédie musicale audio, test avant la vraie comédie, qui s’ajoute aux multiples projets de ce couteau suisse.

Le format est novateur, et l’album parle d’une rencontre entre Krisy et Marie Hélène, un aspect banal de la vie courante mise en lumière de facon romantique et réaliste. Alternance de dialogues et de chants, le court métrage musical casse les codes, et fait souffler un vent d’air frais sur le rap français. 

Krisy assume son côté lover, parlant des femmes dans presque toutes ses tracks, avec une approche différente, poétique et romantique “Je vous laisse les tchoins moi je ne parle qu’à des reines“. L’amour occupe une place prépondérante dans ses textes, son dernier EP en témoigne et figure comme un hommage à cette émotion, recherchée continuellement sans vraiment en comprendre le fonctionnement. On peut aussi lire une certaine sensualité dans ses productions, les beats sont lents, chaleureux, fluides, comme une caresse tiède, réveillant les sens avant une nuit dense. On comprends qu’il s’inspire de Sebastien Tellier, auteur des meilleures soundtracks pour vos rapports sexuels, et de Julio Iglesias, séducteur né et mentor des rouleurs de mécaniques.

Sur la question des femmes artistes dans le rap, il croit qu’il y a une place pour elles, mais qu’elles doivent rester elles-même, ne pas essayer de copier le style des hommes, en général plus trash et vulgaire. Il cite comme exemple Shay, nouveau phénomène de rap français, aux allures de Nicky Minaj avec une féminité plus qu’assumée. Elle pourrait faire office de game changer dans l’éventail rare du rap français XY.

De La Fuentes, dans sa logique multi-casquettes, est désormais créateur d’une maison de production, Le Jeune Musique. Cher à sa ville natale et désireux de propulser la scène belge en comblant le manque de soutien public actuel, il se base à Bruxelles et compte déjà quelques artistes phares dans ses locaux. Face à ce nouveau challenge, on retiendra cette phrase très juste de l’auteur lors d’une interview : « Si les portes sont fermées, c’est qu’il faut construire une autre porte, puis une autre… »