Les Dead Mantra sont définitivement morts. Ils écriront leur propre épitaphe ce samedi en donnant un dernier concert parisien. Du coup, on a voulu revenir sur leur (courte) carrière, et montrer pourquoi il s’agissait sans doute d’un des meilleurs groupes à guitares français de notre époque.

C’était l’hiver 2011, ou quelque chose comme ça. En tout cas il faisait froid, et des potes du Mans m’avaient conseillé d’aller aux Combustibles voir un concert des Dead Mantra, groupe également Sarthois. Direction le 20ème, donc, en compagnie de ma copine de l’époque et d’autres potes. Dans mes souvenirs, la seule info que j’avais à propos de ces quatre mecs signés sur Cranes Records, c’était qu’ils étaient ‘’dans un délire chelou’’. Ok peu importe, le set se déroule donc dans la petite cave aujourd’hui disparue. Les morceaux joués ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable, puisque tout était noyé sous une avalanche de larsens, de frappes archi brutales, de reverb et de distorsion. Mais on était ressortis de là complètement abrutis, sans trop savoir ce qui venait de se passer. Le délire était effectivement chelou, pour des petits banlieusards pas encore majeurs et qui ne connaissaient rien du shoegaze, et chacun d’entre nous avait fini par très bien dormir, bercé par le ronron de ses acouphènes.

Quelques jours plus tard, je me suis mis à écouter les morceaux du groupe sur soundcloud. Soit trois ou quatre titres tout au plus, tirés de l’EP Path Of Confusion. L’ensemble était encore un peu jeune, comme disent les journalistes, mais cette noise pop ombragée était superbement écrite. S’était ensuivie une période de creux, à écouter en boucle dans le RER cet immense remix de They Call It Pain effectué par Nuck Chorris (sic), et des chansons comme Zara Says ou Diesel 52. Puis la sortie de Nemure, premier long-format du groupe.

Pochette magnifique, comme d’habitude chez Cranes Records. Un fond noir sur lequel se dessinait, en paillettes dorées, le choeur d’une cathédrale. Et à l’intérieur, sept superbes chansons, plus un interlude. L’album était finalement une oeuvre où la beauté ne cessait de se disputer à la violence, et où, parfois, la danse venait se mêler à la tristesse. En plein revival shoegaze, psyché et post-punk, les Mantra venaient de mettre une claque à tous ceux qui ne faisaient que copier leurs ainés, en dressant un pont entre ces styles. Mais aussi en y associant des éléments de black métal, de pop et de techno. La production de Vincenzo de Marinis collait parfaitement à la musique du groupe, et il parait franchement difficile de trouver un disque à guitares aussi beau et original que celui-ci, dans les dernières années françaises. Mais au cas où et soit dit en passant, je reste preneur.

Quelques années passent à nouveau. Paul, le chanteur, part s’installer à Bristol pour suivre une scène locale en pleine explosion, tandis que la trap (et le hip-hop en général) se met à tout écraser sur son passage. La musique à guitares est reléguée dans les caves de France, quand elles ne ferment pas, et c’est ce moment que choisissent les Dead Mantra pour annoncer leur tout dernier disque, Saudade Forever. Derrière ce titre-slogan et une pochette pourpre représentant un Banquet des Dieux un peu triste, se cache l’oeuvre d’un groupe qui n’a plus rien à perdre, ni à gagner. L’ensemble est devenu d’une violence sans pareille, les guitares crissent, les hurlements se font beaucoup plus audibles que dans Nemure, tandis que la base rythmique tabasse littéralement les tympans de l’auditeur. Exit toute idée de pop, la noirceur est ici poisseuse et rend l’écoute de ce disque beaucoup plus ardue que sur le précédent. Le fameux concept consistant à essayer de trouver de la beauté dans les choses les plus laides est ici poussé à son paroxysme.

Et encore une fois, la production, aux angles beaucoup moins arrondis qu’auparavant, sert à la perfection la musique des Mantra. Sur le plan des petites cases musicales, le disque garde les influences de Nemure, tout en se plongeant à corps perdu dans d’autres choses. Du drone industriel par ci, un peu de hardcore par là, un peu de ce qu’on appelle du post-metal… En fait, Forever Saudade est encore une fois inclassable ; à la limite, on pourra peut-être le qualifier de « post ». Tout court.

Finalement et pour conclure en essayant de ne pas trop abuser de superlatifs, les Dead Mantra ne ressemblaient à aucun autre groupe, qu’il soit français ou non. Et ça c’était déjà énorme. On pourrait aussi dire que leurs chansons, loin du second degré qu’exige aujourd’hui internet, reflétaient parfaitement les doutes de notre époque, et qu’on aura rarement vu un groupe mettre autant de foi (ou de perte de foi) dans sa musique. On pourrait également ajouter qu’ils trainent déjà derrière eux une forme d’héritage, et qu’ils ont influencé pas mal de musiciens dans les sphères underground. En tous les cas, merci pour ces beaux disques. L’oraison funèbre étant prononcée, ne reste maintenant plus qu’à aller danser sur leurs cendres ce 24 février, au Petit Bain.