Lorsque l’on évoque le concept de musicien•ne, une image claire nous vient à l’esprit : celle d’un passionné, exigeante avec lui-même dans la pratique de son instrument de musique. Par exemple, on imagine facilement un•e guitariste solitaire assis•e sur une chaise en train de jouer, de gratter, de se torturer pour comprendre son instrument. Pour en sortir les bonnes notes et pour obtenir le résultat souhaité, désiré dans son esprit.
Cette image a pourtant évolué puisque le/la musicien•ne peut aujourd’hui se trouver seul•e face à son écran d’ordinateur, ses machines ou, tout simplement, son microphone.
Contrairement aux artistes qui se forcent à aller dans une direction guidée par un ensemble de règles à suivre, quelques un•es décident d’utiliser l’outil qu’ils•elles maîtrisent le plus afin de créer, non pas de la musique, mais bien leur musique. Comme dirait l’allemand Recondite : “Si quelqu’un me donne déjà quelque chose ayant du caractère, cela va être encore plus difficile pour moi de lui en donner.”
Dès son premier EP, Recondite s’inscrit dans cette démarche. Faisant de la musique électronique, sur un ordinateur plutôt qu’avec des machines, les possibilités sont infinies. Pour les limiter, il se dédie à la création d’une palette sonore qu’il peut appeler sienne, en n’utilisant presque exclusivement que le synthétiseur virtuel emblématique du logiciel de production Ableton Live, l’Operator. Il explique qu’Operator offre des possibilités énormes et que, contrairement à de nombreux autres synthétiseurs, il ne possède pas de caractéristiques particulières.
Les synthétiseurs sont généralement conçus de manière à ce qu’ils puissent être bons pour un type de sons particuliers : certains sont bons pour les nappes ambiantes, les autres pour la ligne de basse, etc. Recondite recherche ce qu’il y a de plus neutre possible, pour pouvoir l’interpréter à sa manière par la suite. Il souhaite colorer sa musique comme bon lui semble, et c’est pour cette raison qu’il est un fervent adepte et utilisateur d’Ableton Live, et qu’il considère que les sons basiques sont vitaux pour se former une personnalité musicale propre. Et c’est aussi cela qui l’intéresse dans la musique : ce n’est pas tant de jouer, mais de créer tout en injectant de son humeur, de son émotion, de sa personne.
“Il est important de maîtriser ce que l’on a plutôt que de penser que nous sonnerions mieux si nous possédions un meilleur outil.”
C’est ainsi que l’américaine Kaki King, de son vrai nom Katherine Elizabeth King, a su se démarquer des autres guitaristes. Jouant de la guitare depuis l’âge de 4 ans, elle porte avec elle un bagage chargé de 34 ans de pratique. Dans son premier album Everybody Loves You, King nous présente son univers et sa façon de jouer hors du commun. Influencée par Nick Drake, et n’utilisant pas de voix, sa plus grande peur est de ne pas posséder la sienne. C’est une question valable, surtout lorsque notre instrument de prédilection a été joué et entendu des milliers de fois.
C’est alors que nait son deuxième opus … Until We Felt Red, qui lui confirme alors son style unique, et la rassure. Mais lorsqu’il est temps pour elle de promouvoir son quatrième album Junior, le doute ressurgit. Elle se remet en question, se met à dénigrer la guitare, au point même de la détester. C’est avec une nouvelle approche de la composition qu’elle se libèrera en réalisant son cinquième album Glow, qu’elle considère elle-même comme génial. Contrairement à ses précédents projets, qui étaient très bien ficelés et préparés, elle a décidé, pour Glow, de laisser la guitare prendre le contrôle. Elle se soumet alors à son instrument et se sent ainsi libéré. Elle n’a plus à réfléchir à ce qu’elle va faire. Son instrument la guide et, effectivement, on ressent un très grande liberté sur cet album.
Non seulement dans la façon dont King joue, mais aussi parce qu’elle fait le choix d’avoir d’autres instruments pour accompagner sa guitare. Cette démarche lui a permis de travailler avec le Porta Girevole Chamber Orchestra (orchestre symphonique des étudiants de l’université de Berklee) et d’enregistrer son huitième album Live at Berklee, marquant la consécration de sa pratique de la guitare.
“Je ne pense pas que les mots peuvent parler de son. Je suis toujours surpris lorsque les gens essaient d’expliquer le son avec des mots.”
Né à Londres en 1940 de parents musiciens, Phil Minton, musicien vocaliste et improvisateur, se découvre rapidement une passion pour les sons et les reproduit avec sa voix. Cependant, ce n’est qu’à l’âge de 15 ans qu’il se décide à l’utiliser comme instrument. À l’époque, il quitte l’école et travaille à l’usine. Il commence alors à écouter du jazz, joue de la trompette et devient admirateur de Miles Davis, John Coltrane et Charles Mingus. Lui vient alors l’envie de rejoindre cette culture. Mais même s’il joue de la trompette, il n’en est pas satisfait et décide de revenir à son premier instrument : sa voix. Il l’utilise ainsi comme un instrument de musique pour l’improvisation d’une façon assez unique, qui peut en laisser perplexe plus d’un. À tel point qu’un critique a écrit sur lui que sa musique pouvait s’apparenter à du chamanisme médiéval, et que si Phil se produisait au Moyen-Âge, il serait brûlé à vif sur la place publique.
Ne se décourageant pas et multipliant les collaborations avec des groupes de jazz et autres musiciens vocalistes expérimentaux, Minton a passé les cinquante dernières années à travailler sa voix, trouver de nouveaux sons et techniques. Cette pratique particulière lui a permis, à la fin des années 80, d’organiser une série d’ateliers avec des “non-chanteurs” pour le centre de musique de Stockholm. Ces ateliers connaissent un tel succès qu’il décide alors de pousser l’idée et créé le Feral Choir : un workshop de découvertes et d’expérimentations vocales de trois jours, ouvert à tous, à la suite duquel les participants donnent un concert orchestré par Phil Minton lui-même.
Exemple parmi tant d’autres, l’oeuvre de Minton aide à se rendre compte que nous n’avons pas forcément besoin de nous armer d’une armada de machines pour créer des œuvres originales et uniques correspondantes à chaque individualité.