Le collectif de punks au grand coeur ne fera plus danser les salles sombres de Marseille. Pour ceux qui les ont suivis, comme pour ceux qui les ont ratés, retour sur trois ans de vie d’une bande sensible et engagée.

« On a pas de logo, mais nos affiches sont un logo. »

Pas de logo donc, mais une identité visuelle bien reconnaissable. Avec le collage comme élément central, les affiches au look froid, rétro-futuriste, punk mais toujours très soigné, sont à l’image de la programmation qu’elles annoncent. Les membres de Champ Döner s’effacent d’ailleurs volontiers derrière les artistes qu’ils invitent : « on a décidé de ne pas trop se médiatiser. L’important, c’est la prog.»

Pendant presque trois ans, Champ Döner aura fait jouer près de 80 projets musicaux. Concerts après concerts, le collectif applique la même formule « comme un rituel » : trois groupes, cinq euros, et du live, rien que du live. 

Défendant une esthétique expérimentale, oscillant entre le punk, la noise et la techno, c’est à Avignon qu’ils font leurs armes avant de venir noircir les salles marseillaises avec des artistes comme Accou, Techno Thriller, Violent Quand On Aime ou Le Villejuif Underground. Leur tiercé gagnant : « un groupe noise d’abord, quelque chose de tribal, dansant ensuite, et un son plus techno pour terminer. »

Alexis, danseur assidu lors des concerts du collectif, confirme : « les sensations allaient toujours crescendo. On commençait avec des groupes curieux, et ça s’envolait vers des rythmes de plus en plus intenses. Un délire un peu Noir Boy George, très post-industriel et souterrain. »

À la recherche de nouveaux alliages rythmiques et musicaux, leur programmation met à l’honneur un réseau de labels comme Unknown Precept, le Syndicat des Scorpions ou encore les bruxellois de Vastechoses. Un panel de genres et d’artistes qui leur permet souvent de rassembler différents publics dans la même salle. « On a fait le lien entre une scène assez techno et des propositions expés, qu’on avait plutôt l’habitude de voir à l’Asile 404. » 

Dès les premiers concerts en 2017, le collectif s’insère parfaitement dans le paysage marseillais où les salles identifiées comme punk et expérimentales sont bien présentes, mais où les propositions sont alors faibles. La place est libre, et Champ Döner s’empresse de la prendre, rapidement suivi par un public fidèle. Cette petite communauté d’initiés les accompagne pendant près de trois ans, notamment à La Machine à Coudre, à l’Embobineuse, puis bientôt dans le hangar du Metaphore Collectif, qui leur donne carte blanche pour programmer leurs lives du dimanche soir. « Ça nous a permis de toucher un autre public, et de créer une ambiance plus punk au Meta. »

Champ Döner découvre avec plaisir les joies du public marseillais. Camille, programmé avec son projet Couverture de Survie aux côtés de Chambre et Sara Fuego, atteste : « C’était la première fois que je venais à Marseille, il y avait un monde fou, les gens étaient bouillants, très déterminés. On sentait qu’ils étaient connaisseurs, certains chantaient même les paroles. J’étais agréablement surpris de voir ce genre de population. »

Souvent, Champ Döner enlève la scène pour casser la distance entre groupes et public. « Certains moments pouvaient être très atmosphériques, je me souviens d’une fois où on était tous allongés par terre. À d’autres moments, ça pouvait carrément partir en transe », raconte Alexis.

Plus qu’un collectif à part entière, Champ Döner se voit comme un lien entre une scène et certains lieux. Chez ces puristes de la programmation, on sent cependant une lassitude et une légère déception quant à l’évolution du milieu :

« On a un peu de mal avec certains aspects de la scène techno, le culte du DJ, des bookers, ce côté mercantile où tout se joue beaucoup sur l’image. On a essayé d’être loin de ça. »

Le départ vers Paris de l’un d’entre eux signe la fin de l’aventure. Si aucun collectif avec la même couleur n’est pour le moment identifiable à Marseille, des galeries indépendantes comme Sissi Club ou Voiture 14 promettent déjà de promouvoir le même genre de scène et de prendre le relai. « On aurait pu continuer, et quelque chose va probablement se créer sur les cendres de Champ Döner. Mais si l’un d’entre nous s’en va, ça n’a pas de sens de garder le même nom ». Et à les écouter, ce nom n’a finalement pas tant d’importance : « ce qui compte, c’est de faire venir les artistes. »