En plein coeur du mois d’août, alors que les BBQ ronronnaient et que les transats craquaient sous les tous nouveaux kilos de leurs propriétaires, un coin du Pays Basque pleurait à chaudes larmes la disparition de leur fils prodige : après dix années « d’amateurisme festif », Baleapop, festival de musiques actuelles et d’art contemporain (s’il faut une définition formelle) tirait sa révérence. En pleine gloire. 

Partir avant de se casser la gueule

Réunir une dernière fois ses troupes pour se dire adieu, au revoir, agur, muxu, c’était bien cool les gars, merci, rendez-vous à jamais : les dix ans de l’événement monté par la team Moï Moï avait ce parfum de no futur. Celui de l’adieu aux armes. Tout est fini, et c’est peut être mieux comme ça. On ne sera plus obligé de bloquer une semaine chaque été pour aller claquer des points de vie dans le parc municipal de Saint-Jean-de-Luz, sur une plage ou devant un port, perdre un peu plus l’usage de ses oreilles à force de chercher le caisson – et l’on vous passe toutes les choses ingérées par nos organismes. 

Partir en pleine gloire, avant que les choses ne se gâtent, que la fatigue ne se montre, que la flemme prenne le dessus et que hop, ni vu ni connu, Polo & Pan et L.E.J. sont sur le line up, et plus personne ne trouve à y redire. 

Dernier récit, dernières images d’une fête non pas hors-norme mais petit format, pleine d’amour et de bienveillance. 

Poissonnerie, Sheitanerie 

Jeudi. Second jour des dernières aventures du festibala, mais premier jour où l’on met les pieds à Saint-Jean-de-Luz. Direction les Halles de la ville et plus précisément l’entrée de la poissonnerie pour un apéro qui dérape, orchestré par les résidents, voire « les meubles » du festiva : les Sheitan Brothers, aidés pour l’occasion par Pedro Bertho. Il est 19h, on écoute une (belle) selecta brésilienne, on s’enfile un kebab préparé par le Bordeaux Food Club juste à côté, quelques verres de txakoli et hop, on se retrouve à lever les bras sur des balles disco, orientales ou non, jusqu’au fameux remix d’Elliot Litrowski du 113, quatre heures plus tard. « Les Princes de la Ville », de la Poissonnerie et de la fête, ce sont bien les Sheitan, tant ils domptent nos envies avec la manière, tout en restant sur une fine ligne entre groove, plaisirs (presque) coupables et grosses balles. On n’a même pas vu le temps passer. Un lancement en bonne et due forme, on oserait dire. 

Il y avait aussi un autre apéro organisé par le festival, une performance sonore et gustative – dis comme ça, c’est bizarre, mais sur le papier, ça intrigue. Mais on ne l’a tout simplement pas trouvé. Saint-Jean, c’est quand même petit, mais rien n’y a fait. Alors, on est retourné devant les Sheitan, pour ne rien manquer de leurs adieux. 

Ducontenia, nous voilà 

Le lendemain, fier d’avoir pu enchainer dix heures de sommeil sans sourciller, direction le bien connu parc Ducontenia après une journée de farniente entre-coupée d’un beignet au chocolat des fameux Glaces Lopez. Pas de beach party cette année, mais un format allongé, étiré au possible, de 16h à 3h, dans ce parc municipal que l’on connait tant. Ce qui nous laisse la place pour écouter, ré-écouter, découvrir et re-découvrir les artistes programmé.e.s, qui ont la particularité d’être des ami.e.s, habitué.e.s ou proches du festival et de son équipe. 

Mais pas de redondance, ni de copinage : il s’agit bien là de tirer une dernière fois avant la fermeture. Au programme de ce première grosse nuit : Botine, Young Marco, Petit Fantôme, Forever Pavot, A.N.I, les Fils de Jacob et d’autres. 

On attaque un peu plus tard que prévu, la faute à un repas divin Chez Maitenia (oui, Beyeah est aussi un guide de vacances) et ce sont les Fils de Jacob qui nous accueillent, sur la troisième et nouvelle scène du festival. Selecta impeccable, violence sourde : une rampe de lancement parfaite pour A.N.I, le projet commun de Don’t DJ, Black Zone Myth Chant/High Wolf & Bear Bones Lay Low. Du beau monde donc, qui nous prend un peu par surprise – il est quand même tôt pour de l’expérimentation martiale – mais on se dit qu’on est dedans, ça y est. 

S’ensuit le live assez attendu de monsieur Etienne Jaumet, parrain du festival si l’on peut dire. Comme à son habitude, rien ne semble prévu, écrit, planifié : un laborantin à la chemise hawaïenne qui s’amuse avec des machines, un saxophone et une bonne dose d’humour. Il a un plaisir réel d’être là, d’être sur scène, de pouvoir faire sonner ses étranges chansons aussi bien que des reprises de Sun Ra ou Dizzy Gillespie version synthétique. Le tout devant un public curieux, avide de sensations fortes, passablement éméché mais bienveillant. Encore bravo, monsieur Jaumet, pour ce moment de grâce. 

On passe rapidement devant DSCRD – beats fracassants et fracassés – pour atterrir une nouvelle fois entre les mains des Fils de Jacob : second set de la soirée, beaucoup plus enlevé cette fois-ci. Cette troisième scène appelée « Mini-Club », qui accueille en début de soirée la radio et des DJ sets & performances, porte très bien son nom tant son petit espace resserre les choses, les gens, l’énergie. Une sorte d’arène, d’où sortiront quelques uns des meilleurs sets du week-end – les Fils de Jacob donc, mais aussi Jita Sensation et Epsilove le lendemain. Mini-Club, maxi-ambiance, jeu de mots rincé mais qui explique bien la situation. 

On quitte cet espace pour le grand raoût final de la soirée : Young Marco, sur la grande scène. Comme d’habitude, Shazam a tourné à plein régime – et à vide – pendant les deux heures du bonhomme. Edits d’ici et surtout d’ailleurs, un vent solaire, en décalage absolu avec le reste de la programmation, a soufflé le public, le parc, la team Moï Moï qui zoukait derrière et Zaltan, autre mascotte du festival, qui a tombé le t-shirt sous la chaleur. 

« Forever dolphin love, ah ah ah ah aahaah » 

Réveil difficile mais jouable, l’océan nous attend. C’est quand même bien, un festival dans la French California, comme on dit dans les magazines. On vous épargne le programme de la journée : rendez-vous pour la toute dernière fois, à tout jamais, ever, au Baleapop. On décide d’y être plus tôt, histoire de ne pas manquer une moitié du programme. 

On avait presque oublié la douceur de ce parc en pleine journée. C’est à la fois calme et beau, on s’allonge dans l’herbe en écoutant un étrange live de percussions à quatre mains – dont on a malheureusement oublié le nom. C’est envoutant, et il faut tout l’humour détaché et gentiment gênant de Sam Fleich, qui débute juste à côté, pour nous extirper de là. Il est encore tôt, la foule est peu compacte et, il faut bien l’avouer, peu réceptive à la pop-indé pourtant hyper léchée de Sam. C’était beau, même si nous étions les presque seuls à le voir. 

En parlant de beauté, il faut souligner les travaux des artistes catégorie Art, dont les oeuvres remplissent le parc d’une étrange présence : des blocs de béton blanchis et disposés aléatoirement dans un théâtre à ciel ouvert, des ballons métalliques qui inspirent et expirent, fermement accrochés aux arbres de Severin Guelpa, ou encore les hypnotiques draps aux peintures phosphorescentes de Manon Boulart. Loin de nous isoler de la musique, ces installations nous plongent un peu plus dans celle-ci, en faisant un lien presque mystique avec elle. Les ondulations des voiles peints ou les allers-retours des ballons peuvent rappeler les mouvements d’un dancefloor. C’est un peu simple voir simpliste dit ainsi – on n’est tout simplement pas calé en art contemporain, hein – mais vous avez l’idée. De la beauté dans un monde de beats, s’il faut un slogan. 

Mais revenons à la musique. Sam Fleich termine, les Pilotwings embrayent, et on les écoute tout en faisant la queue pour s’envoyer des sandwichs au lomo. On est pas bien, là ? À peine le temps d’apercevoir le live/performance de Gaff-E (ça avait l’air vraiment bien) qu’on prend nos positions pour la grande messe du soir : Connan Mockasin. 

Le mec est chez lui, et ça se sent. Décontracté comme jamais, Connan et son groupe arrivent sur scène, après une introduction par Patrick, moitié des Sheitan Brothers et speaker officiel de cette édition. Les problèmes techniques s’enchaînent mais cela n’a pas l’air de les embêter plus que ça. Il en profite pour trinquer avec le public. Peut-être que le choix de la scène n’était pas le bon car tout le festival semble s’être arrêté pour écouter Connan nous susurrer de l’amour. Ça déborde, quelqu’un ose la comparaison avec Woodstock, le live débute enfin et tout le monde est hypnotisé. 

« Charlotte’s Thong », « B’nd », « Its Choade My Dear », « Last Night », le groupe – Connan, un bassiste et un batteur – enchainent les titres/tubes comme des énormes bonbons à la douceur incroyable. Est-ce que je vous ai précisé qu’au même moment, le soleil se couche ? Un verre de cidre à la main ? On touche au paradis, vraiment. 

Les premières notes de « Forever Dolphin Love » résonnent et le public a l’idée un peu surréaliste de reprendre en cœur non pas les paroles, mais ce qui suit. La vague imitation d’un cri (sifflement ?) de dauphin, le « Ah ah ah aaahah » du refrain. Il faut s’imaginer une (petite) foule qui chante, synchrone, ça. C’est quelque chose, quand même. 

Jita, Zaltan & crowd surfing 

Difficile de remettre un pied dans le réel après ça. On erre devant les Jita Sensation, qui ont le bon goût de jouer plus relax, avant le live d’Epsilove, envoûtant lui aussi, mais dans un autre registre. Proto-électro, breaks d’outre-Manche et envolées acid, l’ex-moitié de Syracuse déboulonne les cadres et ambiance cette désormais fameuse troisième scène, le Mini-Club-maxi ambiance. 

La suite se fait plus brouillonne. Non pas le festival en lui-même, mais la fatigue se pointe – on s’en veut d’être fatigué, bordel c’est la dernière, on essaye donc de rattraper de l’attention pour la suite. Usé tabasse sa batterie et c’est cool, les Jita Sentation montent sur les tables et c’est cool, Zaltan prend les platines pour le méga closing, et c’est forcément très cool. 

Car il est là depuis le début du festival. Quasi-incognito, sur un coin de la scène ou dans la foule, chemises à fleurs très vites enlevées. Mascotte de cette édition – il suffisait de jeter un oeil à Instagram pour voir ce que ce bon vieux Zaltan faisait – il a clôt avec la manière le samedi, le week-end, l’édition n°10 et accessoirement le festival. On ne souvient pas de tout, mais d’une vibe terrible, de toute la team du festival derrière lui, de transitions hasardeuses mais énergiques, de Patrick (moitié des Sheitan, vous vous rappelez ?) qui prend le micro, de Pierre, programmateur du festival, qui se fait un gros plaisir et se jette dans la foule, d’une envie de ne plus partir, jamais – mais bon, il a bien fallu, on était crevé. Et impossible de se souvenir du dernier titre entendu. 

« Ce qui est fait n’est plus à faire »

Voilà, c’est fini, comme dirait l’autre. « Ce qui est fait n’est plus à faire », comme l’a dit le festival sur les réseaux. C’était notre parcours dans cette 10ème et dernière édition du Baleapop, la Moï Moï Familia, comme ils disent. Une famille dont nous aurions aimé faire partie plus souvent. Après coup, on se dit qu’on aurait dû être là, chaque année, chaque été, à Saint-Jean-de-Luz, pour invoquer le dieu du soleil et danser sous les étoiles. Pour vivre des choses seul, mais tous ensemble. Pour s’aimer entre deux tournées de txakoli. Pour simplement être là. Dix années que l’on aimerait vivre, revivre, peut-être pas tout de suite, mais quand l’habitude nous fera dire « hé, mais il ne faudrait pas prendre nos billets pour le Baléa ? » 

Milesker, Baleapop.

Baleapop 2019

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Crédits Photos : © Lucas Mathicard