Couronne de lierres, groupuscules de K-way jaunes et bottes de pluie, vous êtes bien arrivés au We Love Green 2016. La boue n’a pas arrêté les festivaliers, le terrain était glissant mais les festivités mordantes.

 

Do you like the festival?

Aux premiers abords, le festival a tenu ses promesses. S’il n’est pas le seul à diversifier les activités, le choix de l’axe écologique fonctionne et permet une séries de propositions pertinentes : alimentation des scènes par panneaux solaires, toilettes sèches, stands de nourriture végétarienne et vegan mais aussi débats. On ne demande pas encore aux groupes de jouer en formation acoustique sur des instruments en bois recyclé, mais le maximum semble être fait pour diminuer l’empreinte carbone. Dans un cadre tel que le bois de Vincennes, c’est plutôt réussi, et en étant si proche de Paris, la boue et les bottes aidant, on se croirait vraiment ailleurs, pour quelques heures. Sur les dernières centaines de mètres entre la navette et l’entrée, ça sent le festival: la paille, la tente igloo et les nuits sans sommeil.

Passons les centaines de mauvais commentaires sur l’organisation. Il est vrai que c’est désagréable d’attendre, pour la navette, à l’entrée, à la fouille, au bar, pour manger. Mais à quoi s’attendre quand on annonce 25 000 personnes ? Il est vrai que la sortie était plus fluide le dimanche quand les organisateurs l’ont organisée, en décalant les heures de fin des concerts et en postant du staff un peu partout. Mais à quoi peut-on s’attendre quand plus de 10 000 personnes sortent d’un même concert à une heure moins dix un samedi soir, et qu’un autre festival accueille 50 000 personnes au nord de Paris ? En oubliant certainement que ces fameux organisateurs ont essuyé comme nous tous une semaine complète de pluie, qui a transformé les belles pelouses du parc en rizières qu’il a fallu combler de graviers à coup d’heures supplémentaires, et au détriment d’une partie de la scénographie… et d’un barriérage suffisant.

Ainsi c’était un peu l’aventure pour rentrer, en s’entassant dans un bus de nuit, marchant des heures ou en payant une berline de luxe trois fois plus cher qu’un taxi. Mais l’histoire ne retiendra que les concerts, un par un, ce pourquoi tous sont venus sous la pluie, ont couru acheter des bottes – en riant de plaisir de faire un geste aussi campagnard tiens.

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De la tragédie grecque des choix en festival

Si vous ne vivez pas dans une cave depuis dix ans, vous le savez, les disques ne se vendent plus, les artistes doivent tourner pour vivre, et la fameuse recette du festival ayant été retrouvée, il est courant d’aligner les noms sur une affiche, les scènes sur une surface réduite. Et dès que les scènes se multiplient, il faut faire des choix, et ce report, bien qu’à quatre mains, ne sera donc que partiel.

A notre arrivée le samedi, PNL se noie dans l’auto-tune devant une foule en délire. Soit. Les dernières notes du dj set de Metronomy nous font patienter au bar pour acheter des pintes à 7€50 plus la consigne – c’est cher, comme partout, où nous attendons jusqu’au début de Floating Points. En formation groupe de rock, sans cuivres comme à leur dernier concert au New Morning, les anglais font un sans faute et livrent un beau moment de krautrock, électronique et planant. On aurait aimé qu’il fasse déjà nuit pour mieux s’immerger dans leur musique, c’est là un autre inconvénient du concert de festival vs. un concert dans une salle. Nous filons visiter la scène Lalaland, un beau et grand chapiteau où Session Victim fait joyeusement groover et danser plusieurs centaines de personnes. L’ambiance est plus calme et la foule moins dense, comme tous ces endroits qu’il faut chercher plus de trois minutes. Parait-il que le live d’Acid Pauli était une claque, des dires d’un ami croisé à ce moment-là. Inévitablement, nous manquons encore des concerts pour aller manger. C’est cher, environ 10€ pour un plat sur l’un des nombreux stands, mais c’est plutôt bon, avec du goût, loin du classique merguez-frites de la Fête de l’Huma.

Mais le clou du spectacle est sans nul doute le concert de LCD Soundsystem. Vous trouverez partout des reports complets avec setlist, analyse des visuels et récits des vannes de James Murphy sur “ses” musiciens. Le grand débat de leur retour sera posé. Le plus important reste simplement la réussite d’une promesse, celle après quoi nous courons quand nous allons voir un concert : l’émotion. Le concert aura duré plus d’une heure trente pour plus d’une dizaine de morceaux des quatre albums du groupe, piochant dans toute la palette des styles auxquels ils ont pu toucher : disco, funk, pop, punk, électronique. Les improvisations sont rares mais les morceaux carrés, le son propre et la voix de James Murphy juste. Et les sept lurons nous ont tour à tour fait danser, crier, chanter, embrasser, pleurer.

 

L’émotion au rendez-vous

Un des concerts les plus attendus de dimanche fut celui de James Blake, avec raison. La foule se rue vers la Prairie écouter le bel anglais à la chevelure d’Angélus. Il débute avec un de ses titre phares, Life Around Here, qu’il joue avec douceur, sensualité et profondeur. James prend son temps, les morceaux jouent sur les longueurs, pour faire durer le plaisir et grimper l’émotion. On aura droit à son top Spotify : Retrograde et Limit To Your Love, mais aussi le tout récent Modern Soul, alors qu’on s’attendait quand même à plus d’extraits de son tout juste sorti dernier album, The Colour In Anything. L’enchantement est total, la foule est silencieuse, seul le timbre de sa voix domine sur le parc floral, on croirait presque que le temps s’est arrêté. James Blake est de ceux qui se livrent humblement à la musique, et c’est peu dire.

Par acquis de conscience et par nostalgie, on file voir Air, et on se laisse aisément bercer par ces morceaux qui ont accompagné une bonne partie des années 2000. On a un peu l’impression d’écouter les disques à la maison, ce qui n’est pas étonnant quand on connait l’exigence des loustics sur le son, mais, sur le dernier morceau joué, La Femme d’Argent, ils explosent enfin la structure pour une version longue réussie.

 

L’incroyable vie des choses

La découverte la plus surprenante fut celle de Jacques. Artiste mystérieux et complètement loufoque derrière sa coupe de Dexter raté, on ne savait pas s’il jouait dans le registre du burlesque ou de l’idiot du village. La réponse est ni l’un ni l’autre, Jacques est un vrai génie, un explorateur musical qui amène son laboratoire sur scène et compose en live sa musique. Ses instruments ? Un rouleau de scotch, une balle de ping pong, une assiette en plastique… Tout y passe, même un cure-dent saurait trouver sa place. Ce qu’il appelle “l’incroyable vie des choses” prend tout son sens sur la scène. Tout semble improvisé : il fait parler les objets dans son micro, il part de rien, d’un air de voix qui chante faux, et en fait une mélodie aérienne sur fond de basses techno sublime. Les yeux fermés, on est comme transporté par ses expériences si naturelles et improbables. Morale de l’histoire ? “La nature des choses est magnifique, tout est une chose, tout est magnifique.

Dans le même temps, Diplo pollue l’atmosphère avec son set EDM, où le passage d’un court extrait de Daft Punk ne viendra pas sauver notre mauvaise opinion du type qui ne sait que scander : “and now, I would like all of you to put your hands up in the air“. La force, et la faiblesse, de We Love Green tient dans ce mix improbable entre des artistes pointus et des pointures grand public. Mais si cela permet de faire venir un groupe tel que LCD Soundsytem chaque année, le pari est gagné.

Ce qu’on a aimé  : Faire des câlins à un arbre, manger un bo-bun avec du goût.

Ce qu’on a pas aimé : Sacrifier une paire de chaussures pour le week-end, faire la queue partout sauf pour uriner.

Article écrit par Nina Veinard et Guillaume De Seigneurens.