Infatiguable, Moor Mother pose sa prose à la Gil Scott-Heron sous stéroïdes sur mille projets à l’année, si bien qu’il est dur de tout suivre. L’année dernière seulement, elle a sorti un EP solo, un album free jazz avec son groupe Irreversible Entanglements, et plusieurs collabs sur son bandcamp.

La dernière en date est l’album Brass, rencontre magistrale avec billy woods, la moitié du duo hip-hop Armand Hammer. L’alliance entre les deux avait commencé par une collaboration sur Shrines, dernier album d’Armand Hammer sorti à l’été 2020. En feat. avec Earl Sweatshirt et FIELDED, le titre Ramesses II déroulait une prod mélancolique et simpliste, éclipsée par les flows à différents degrés d’écorchures des rappeur.ses.

Qu’on parle de spoken word, de poésie déclamée ou de rap importe au final assez peu, tant que l’impact des voix mélangées de billy woods et Moor Mother fait son effet sur Brass. Les titres sont souvent sombres lorsque le duo s’y adonne en solo, là où les chanteurs-ses en featuring amènent une puissance pop aux morceaux – comme le chant de Wolf Weston sur The Blues Remembers Everything The Country Forgot, qui infuse une touche accessible à laquelle Moor Mother ne nous avait pas habitués. 

On peut quand même facilement le rattacher au reste de sa discographie, par le rappel qui y est fait des racines noires de la majorité des musiques populaires. Partout dans l’album est soulignée la récupération blanche des musiques noires, et l’évincement constant de ses créateurs originaux de la « grande » histoire. Et si gagner en FM-ité ternit un peu la verve de Moor Mother, sa musique prend aussi en aisance, son flow installé sur des prods plus pops y trouvant une clarté nouvelle.

« They don’t want me to shine cause I remind them of the fight. »

D’autres titres comme Gang for a Day, Portrait et Mom’s Gold prennent des sonorités jazz contrastées par des influences indus et par le côté percutant des flows. Mais les morceaux les plus marquants restent ceux où la prod s’efface derrière les paroles : des titres mélancoliques comme Rapunzel s’avèrent d’autant plus forts sur des prods downtempo, laissant le phrasé des rappeur.ses prendre toute son ampleur.


Par ses nombreux featurings, Brass permet aussi de découvrir la nouvelle garde du rap américain influencé soul et jazz : E L U C I D, Navy Blue, R.A.P. Ferreira, ou encore Mach Hommy. Une liste des noms prometteurs du moment qui montre que Moor Mother et billy woods ont su s’inscrire dans la mouvance contemporaine, celle marquée par des prods profondément mélo – voire tristes- et des textes à la fois nihilistes et revendicateurs. 

Du côté de billy woods, c’est d’abord avec son label Backwoodz Studioz qu’il s’y consacre en produisant la plupart des artistes sus-mentionnés. De celui de Moor Mother, ce n’est finalement qu’un registre de plus dans lequel on retrouve celle qui a déjà fait ses preuves dans l’électronique expérimentale, la scène free jazz et surtout dans n’importe laquelle de ses performances live – pour peu qu’on ne la mette pas face à un parterre quasi-vide d’afterworkers malaisants. Et pour ce qui est de la scène hip-hop dans sa plus grande largeur, on ne peut que constater que l’afrofuturisme a de beaux jours devant lui.

« You can’t say Moor Mother without future, you can’t say black future without Moor Mother, motherfucker.»