La scène est un peu surréaliste, et à coup sur me marquera. Au milieu d’un long voyage en voiture, je reçois un appel. “Allo Bastien ? C’est Pär.” Au bout du fil, à Berlin, Pär Grindvik m’appelle après que l’on ait du convenir d’un appel téléphonique comme seule méthode possible pour réaliser cette interview. Il vient tout juste de sortir son premier album Isle Of Real, une oeuvre envoûtante qui arrive à sonner industrielle sans utiliser de sons distordus ou drone. Sans pouvoir vraiment me l’expliquer, cet album m’évoque mes meilleurs raves dans le nord de l’Angleterre. J’étais donc forcément curieux d’en savoir un peu plus sur sa mentalité – et aussi car publier un premier album après vingt ans de carrière est un fait suffisamment rare pour que sa perspective soit à coup sûr passionnante.

En général, je m’oppose à l’idée de ne pas avoir un contact tangible avec l’artiste lors de la réalisation d’un interview. Ici c’est ce qui a fait tout le charme d’une discussion improbable. Au bord de la route, aléatoirement tombé prés d’une salle de sport de Lunel, je m’apprêtais à avoir une conversation fascinante d’un peu plus d’une heure avec l’un des parrains de la scène techno de Stockholm. La simple ré-écoute de l’album me replonge dans les sensations de ce portrait et des paysages rencontrés ce jour-là.

J’aimerai commencer par parler de ton introduction dans le monde de la musique. Tu es un producteur et un DJ depuis plus de vingt ans maintenant. A l’origine de ça, il y a quoi ?

J’avais un frère qui collectionnait des disques. Dès l’âge de cinq ans j’ai été plongé dedans, il passait beaucoup de disques d’italo-disco. Ma génération est l’une des premières qui a baigné dés l’enfance dans le bouillon culturel électronique. Il y avait des sons nouveau en permanence, des sons qui proposaient une perspective différente sur la musique. J’ai étudié la musique à l’école jusqu’à ce que j’en sorte et que je démarre un shop de disques.

Ce bouillon électronique singulier dont tu parles, il est toujours là – toujours aussi créatif – pour la nouvelle génération tu penses ?

Je pense que ça a changé. La génération qui est venue après la mienne n’avait pas ce sentiment de révolution tel qu’on a pu l’avoir. On a découvert que l’on pouvait faire de la musique autrement qu’avec une guitare ou un piano. J’ai étudié la musique classique et le solfège, mais pour moi la musique électronique représentait la voie de la création nouvelle, celle qui brise les règles en place. Et pourtant les progressions harmoniques et les structures sont relativement identiques.

Cet esprit de progrès et d’exploration au travers de la musique électronique, tu penses que c’est un état d’esprit que l’on retrouve aujourd’hui dans les projets transculturels ?

Je ne sais pas. Je pense que les gens essayent de regarder en arrière pour créer des choses nouvelles en général. Et je trouve que c’est contradictoire avec l’esprit originel de cette musique, qui s’était promis de ne jamais regarder en arrière. Depuis une dizaine d’années, on a cette nostalgie et cette fascination pour le passé au sein de la culture électronique. Beaucoup de projets revisitent ce qui a déjà été fait – même si c’est souvent pour en proposer des perspectives intéressantes.

J’ai l’impression que tu as vraiment mûri ta vision de ce milieu. Pourquoi avoir attendu presque vingt ans pour t’attaquer à ton premier album ?

C’est une bonne question. J’ai commencé à faire de la musique électronique vers l’âge de dix ou onze ans. Il m’a fallut une dizaine d’année pour sortir le moindre morceau. Principalement car j’étais très perfectionniste, très nerdy vis à vis de mon son. Cela vient directement de mon éducation musicale. Cette culture de la perfection est très présente dans la musique classique, c’est même une idée centrale. Je voulais ressentir la même chose avec ma musique qu’avec celle de gens que j’admirais. Evidemment, c’était impossible, donc cela a pris énormément de temps avant que je réalise que je faisais ça sérieusement, que ça avait un sens. Il a fallu que quelqu’un me force à finir mes morceaux pour que je sorte mon premier projet. Cette sensation a été très étrange, d’enfin finir quelque chose, de le laisser s’en aller. J’ai l’impression que tout le reste n’était qu’un cahier de brouillons. Mettre un point, ça a un impact, ça a un sens.

J’imagine que tu as senti au bout d’un moment que tu devais rendre plus instinctif ton processus de création non ?

C’est une très longue histoire. Vu que j’ai étudié la théorie musicale, la musique était quelque chose d’évident – dans son processus créatif. J’avais du mal à laisser parler les machines, je m’enfermais dans des loops que j’essayais de rendre parfaites. Je pouvais passer des heures sur un simple hi-hat. De commencer à extraire ces créations de ma bulle, cela m’a donné une nouvelle façon de voir les choses, une nouvelle façon d’écouter la musique. L’expérience musicale est devenu plus importante que l’objet en lui-même. Cet album, c’est à l’opposé de tout ça. J’en ai esquissé  un brouillon très rapidement, mais l’enregistrement a pris plusieurs années pour que cela reste fidèle à ma première idée. Il a été écrit très rapidement, mais ensuite j’ai traîné mes brouillons de studios en studios pour en tester des interprétations différentes. Au final, c’est un processus très similaire à celui des groupes. Tu écris quelque chose, puis tu le travaille dans différents environnements. De la manière dont je le ressens, l’oeuvre final est fidèle à la première écriture que j’en ai fait.

Te poses-tu toujours la question de savoir si c’est parfait, ou est-ce complètement parti ?

Non, je suis sorti de ce processus – de ce que j’appelle ma bulle – à la fin des années 90. Je ressens toujours  de la pression. C’est quelque chose de permanent. Là par exemple j’ai passé un super weekend en studio, très productif. Deux semaines plus tôt, c’était un désastre. C’est quelque chose que tu ne peux pas contrôler.

C’est une obsession, ou tu arrives à contrôler cette pression ?

Tu te remets toujours en question, mais au final je me sens confortable avec ce que je fais. Je suis très satisfait de mon album. Même en l’ayant énormément écouté, il parvient toujours à me faire de l’effet, particulièrement dans sa longueur. C’est bon signe en général. Toutes les épreuves créatives que j’ai dû traverser plus jeune m’ont permis de me construire tel que je suis aujourd’hui, d’une manière où j’arrive à être agréablement surpris de ce que je peux créer. Quand je regarde en arrière, je regrette de ne pas avoir fait plus de musique durant toutes ces années et m’être autant attardé sur ces loops; mais cela fait aussi partie de la personne que je suis aujourd’hui – une partie qui m’apporte de l’équilibre et du sens. Je ne peux pas le renier, je ne le veux pas.

De construire ce premier projet en format long, ça a changé ta manière d’écrire et de partager une histoire ?

Oui et non. J’ai toujours aimé le format de l’EP, car j’y avais l’espace suffisant pour raconter les histoires que je voulais écrire. Cette limitation – ce maximum – que tu peux avoir avec un EP peut aussi être une contrainte positive. En revanche, le format long t’oblige à créer un ensemble différent, plus aéré. Ne pas resserrer l’écriture t’expose à d’autres contraintes. Ce sont deux exercices différents, mais je les aborde un peu de la même manière. Je fais rarement des EP tracky car c’est un aspect de la techno que je n’apprécie pas forcément. Son minimalisme – au travers de sa structure et de son absence de lyrics – font que j’ai toujours eu besoin de trouver mon équilibre entre peinture abstraite de mon son et storytelling.

Tu as écris toutes tes démos de manières resserrée et organique, ou à partir d’éléments éclatés ?

C’est assez compliqué. Certains éléments viennent de loin, tandis qu’un bon concentré date d’une période d’écriture bien précise, qui a duré deux mois. La plupart des mélodies de cet album ont été écrites à part, et je les intégrais par la suite en studio à partir des synthétiseurs que j’avais sous la main. En temps normal, j’écris, je produis et je mixe tout depuis mon ordinateur dans mon studio. Ici je voulais faire les choses différemment et aller travailler dans d’autres studios. J’ai beaucoup travaillé avec Peder Mannerfelt qui s’est occupé de faire l’ingénierie de cet album. On s’est posé et on a discuté de comment structurer ce matériel. C’était agréable ce processus, de s’asseoir et d’analyser ce que tu as sous la main. On avait une guideline pour chaque morceau. Pour certains morceaux comme “The Marlton”, je me retrouvais avec des enregistrements de plus de dix minutes qu’il fallait réduire à cinq pour équilibrer l’album.

Isle Of Real Par Grindvik

C’est intéressant et assez original dans la musique électronique, car c’est un processus très compartimenté qui ressemble pas mal à de la manufacture. Tu prends ton idée – ton matériel premier – et tu le fais passer par plusieurs processus différents pour l’assembler et avoir ton oeuvre artistique.

Effectivement, et je ne pense pas que beaucoup d’artistes techno fonctionnent de cette manière. La plupart des artistes que je rencontre sont surpris quand je leur raconte ça. Certains arrivent à enregistrer des morceaux en quelques minutes, moi je ne peux pas.

J’ai discuté de ce sujet avec Inigo Kennedy il y a quelques mois. Son processus à lui est à l’opposé de ça, c’est purement instinctif. Il allume son logiciel, et sans vraiment y réfléchir, il se retrouve avec plusieurs morceaux finis au bout de quelques heures.

C’est marrant que tu dises ça car j’en ai parlé avec lui. En temps normal, mon processus est proche du sien. J’admire sa capacité à écrire des mélodies simples et directes. Je connecte totalement avec la manière dont il aborde son sujet. Je pense qu’en général, c’est plus dur de conceptualiser la méthode de travail que j’ai pu avoir avec cet album – car elle est éminemment complexe. Egalement car il y a une multitude d’approches qui se superposent dessus. Là où je vois un lien avec ce que fait Inigo, c’est que les mélodies sont écrites un peu de la même manière. Je pense qu’elles essayent d’être honnête.

On peut aussi les voir comme pop d’une certaine façon – pas dans un mauvais sens – car elles sont directes et s’adressent directement aux tripes. Leur complexité se retrouve dans leur orchestration et pas dans leur progression harmonique. Dans leur structure et dans leur capacité à t’emmener d’un point A à un point B.

Exactement. Et c’est pour ça que ça peut être très dur quand tu produis tout seul dans ton studio de perdre cette honnêteté. Quand tu surtravaille tes morceaux, tu finis par perdre l’honnêteté qu’il y a derrière. C’est une question d’équilibre. Quand tu arrêtes de penser à la réception de tes morceaux – à leur puissance communicative – et que tu te recentres sur cette honnêteté, tu écris de la musique plus intéressante je pense.

Cette question de l’honnêteté est intéressante. Pour toi, est-ce que c’est lié au fait qu’à l’heure de notre monde musical hyper-connecté, on a besoin de recréer du lien ? Il y a une place plus importante pour l’honnêteté désormais, que ce soit au travers du retour des lives ou de ce style d’écriture.

Oui je pense que c’est quelque chose qui nous a fait défaut pendant quelques années et qui a fini par manquer aux gens. En revanche, je suis sceptique à l’idée de l’associer avec l’émergence des réseaux sociaux et de leurs nouveaux codes. Je pense qu’on est plus dans le domaine d’une certaine forme de mode.

Si tu prends la techno par exemple, pendant des années les sorties devaient être anonymes. Même moi j’adorais ça, j’ai grandi avec ça, cette notion de l’inconnu. Je suis content que les gens reviennent vers ça et vers la techno, mais je pense que dans notre environnement actuel on manque d’erreurs à mettre en avant.

Si tu écoutes la R&B des années 90 et que tu la compares à celle qui est produite aujourd’hui, on est dans une production totalement édulcoré qui perd de son charme. On n’a plus vraiment d’inventivité dans les bridge. On recherche juste le vocal parfait, le beat parfait. La techno prend un chemin similaire. Les gens reproduisent le vieux son mais n’en reproduisent pas les erreurs qui le rendait si intéressant ; et j’en fait peut être parti également. On perd cette honnêteté dont on parlait.

D’une certaine façon on réinvente la notion d’underground. L’underground n’est plus un genre musical ou une certaine forme de son, mais une approche dans l’écriture focalisée sur cette question d’honnêteté. D’une manière presque nue.

Oui c’est vrai. Et je pense que c’est lié au retour de la new wave ou du punk. Tu ne veux pas écouter quelque chose qui soit parfait, tu veux écouter quelque chose issu d’un certain processus. Le chemin de l’oeuvre prend une part beaucoup plus importante dans l’identité de l’oeuvre fini.

Justement j’aurai une question à propos de la nature de ton son sur cet album. Physiquement, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir ta musique comme issue du courant industriel. Pas du tout dans la manière distordue et sale avec laquelle le punk va chercher son aspect industriel, mais plutôt dans la mélancolie – que je trouve très similaire. Je ne pouvais pas m’empêcher d’y voir une certaine correspondance avec tous les paysages désindustrialisés du Nord de l’Angleterre, cette mélancolie ambiante. Es-tu aller chercher ce sentiment à Stockholm, existe t-il là-bas ? Ou sinon, de quel endroit tu t’es inspiré pour créer cette sensation ?

(rires) C’est très intéressant, car l’unique inspiration que j’ai eu pour cet album, c’est le nord de l’Angleterre. Peut être pas tant le coté industriel de cette région, mais plus dans les paysages des highlands. Quand tu tombes sur des ports qui n’ont pas été utilisé depuis des années, je suis fasciné de voir comment la nature reprend ses droits. Quand j’étais petit, mon père avait pour habitude de voyager dans Svalbard en hélicoptère pour ramener des clichés d’épaves de bateaux ou de rails de trains qui me fascinaient. Cette inspiration donne un aspect “conte” à mon album je pense.

Svalbard Grindvik

Svalbard Grindvik

Svalbard Grindvik

Svalbard Grindvik

Svalbard Grindvik

Svalbard Grindvik
Photos prises à Svalbard par Mats Grindvik, le père de Pär Grindvik. Merci à Pär de nous les avoir transmises.

Un aspect mystérieux d’une certaine façon ?

Un aspect mystérieux mais avec quelque chose de fondamentalement humain dedans. Pour être honnête avec toi, je n’ai jamais vraiment fait part de tout cela à des journalistes, c’est la première fois que j’en parle. En général, je préfère que les gens approchent mes travaux sans idées préconçues, avec un esprit plus ouvert. Car au final, tu pourrais également l’écouter en buvant des cocktails avec des amis. Ce qui est important, c’est la manière dont tu te l’appropries. Quand j’écris, j’ai des idées politiques en tête. C’est également lié au fait que ça permet d’y apporter une certaine forme de bonheur. C’est quelque chose que tu retrouves dans une bonne part de la musique des années 90, cette idée du point de vue politique à partir de ta création. D’une manière très positive, optimiste et curieuse sur le futur. Je pense que mon album est le résultat  de cette mixture étrange, composée d’épaves de bateaux et de vision optimiste sur l’avenir (rires).

C’est intéressant car pour insuffler un esprit à ton art, tu approches ton travail de la même façon avec laquelle tu pourrai consommer une oeuvre dont tu ne connais absolument rien. Tu te l’appropries à l’associant à certaines parties de ta vie, à certaines idées que ton esprit formule. Et en utilisant toi-même ce processus singulier, tu ne veux pas essayer d’influencer le processus d’écoute de ton public. Tu ne veux pas empiéter sur la capacité de ton album d’engendrer des idées créatives en pré-établissant une perspective définie pour celui qui l’écoute. 

Oui je vois ce que tu veux dire. Quand j’étais plus jeune, et plus préoccupé par la manière dont ma musique serai reçue, il y avait beaucoup plus ce processus “ceci est ce que je veux dire, ce que je veux que les gens ressentent“. Après plusieurs années, et en devenant plus confortable dans ma position d’artiste, je me demandais pourquoi je devais être aussi sérieux vis-à-vis de ça. Dans le fond, mon processus d’inspiration reste le même, mais j’accepte totalement – j’encourage même – à ce que les gens en aient une vision différente. Je trouve d’ailleurs ça particulièrement intéressant que tu aies réussi à connecter avec ce que j’avais en tête quand j’ai construit l’album.

Pour moi, je revoyais certains de mes souvenirs de Sheffield, qui est en train de se renouveler depuis quelques années. Ecouter ta musique m’a rappelé celle que je pouvais entendre dans certaines warehouses là-bas.

Oh, merci. C’est un beau compliment pour moi. Je pense que l’album transpire beaucoup l’Angleterre, en tout cas c’est ce que je ressens. Globalement, la plupart des label qui ont importé la techno de Détroit connectent avec la scène anglaise donc je pense qu’indirectement ça me prédisposait à être attiré par ça. En Angleterre c’est devenu quelque chose de singulier car ils se sont réappropriés la techno de Detroit pour la mélanger avec quelque chose de plus breakbeat, ils lui ont donné du sens vis à vis de l’environnement politique singulier des années 80 et 90.

Et comment tu relies ça au fait que tu sors cet album sur ton propre label qui s’appelle… Stockholm LTD ? Ce que je veux demander au travers de ça, c’est si tu arrives toujours à revendiquer une identité locale. As-tu l’impression de représenter Stockholm ?

Ça devient de plus en plus dur. Même si j’ai des liens très forts avec Stockholm, car c’est dans cet environnement que je suis rentré dans la musique, je me sens progressivement déconnecté. Beaucoup de choses sont en train de se passer. Ça fait dix ans que j’ai bougé à Berlin, donc je ne sais pas vraiment si j’ai toujours le pouvoir de dire que je suis un représentant de Stockholm. La ville a beaucoup évolué depuis, je le remarque quand je voyage là-bas. C’est dur à dire, à évaluer, car c’est une grande part de ce que je suis. Mon label est attaché à Stockholm et me rappelle des choses que j’ai vécu là-bas. Je suis super romantique vis-à-vis de ça. Mais malgré ça, si tu n’es pas sur place, tu perds progressivement l’empreinte de la ville.

D’une certaine façon, ton label permet d’entretenir cette connexion avec ta ville natale ? Si je ne me trompe pas, tu t’en sers également pour promouvoir des artistes locaux.

Oui c’est vrai. Cette connexion est très importante pour moi, j’ai envie de faire partie de cette scène. Changer de ville peut être très compliqué. Mes enfants sont nés à Berlin, ils sont berlinois. Même si je leur dis qu’ils sont suédois, dans le fond, il sont berlinois.

Comment tu l’analyses, cette identification ? Deux identités peuvent vivre en même temps, ou te paraissent-elles conflictuelles ?

Non je ne pense pas. Quand je me balade dans les rues de Berlin, je me sens suédois, je me sens venir d’ailleurs. Mais d’un autre coté, quand je me balade à Stockholm, je ne me sens plus vraiment de là-bas, comme en décalage. Par moments j’ai un peu l’impression de vivre dans un monde parallèle, si tu vois ce que je veux dire. J’essaie plutôt de voir la richesse au travers de cela. Je pense que ça peut être très inspirant, ça rejoint ce que l’on a dit sur l’Angleterre un peu plus tôt. Je préfère retenir cet aspect-là.

C’est un album qui est cohérent dans son unité, tu penses créer un live avec ?

J’ai joué live pendant de nombreuses années. Quand j’ai commencé à tourner je ne faisais que ça. Je pense que je le ferais, à une seule condition : que je sois capable de le jouer chaque jour tout en restant surpris à chaque fois. Quand j’ai recommencé à faire du DJ set, j’ai redécouvert une liberté particulièrement grisante. J’ai eu l’impression de pouvoir communiquer beaucoup plus efficacement. Quand je mixe j’essaye de raconter des histoires similaires aux histoires que j’écris, donc c’est cohérent au final. Je ne veux pas me sentir enfermé dans le live ni dans le DJ set. D’autant plus que pour le live techno, il faut être dans un endroit avec lequel tu te sens en phase au niveau du soundsystem, et c’est quelque chose de plutôt rare. Au final, je veux être flexible, avoir un setup modulaire. À une époque, j’ai fait une tournée avec Hardcell – un des artistes qui m’a permis de prendre le contrôle sur mon écriture – et nous avions une date au Berghain avec une timetable généreuse. De pouvoir construire sur la durée tout en improvisant, je pense que c’est quelque chose qui m’a marqué et que je recherche particulièrement désormais.

Par Grindvik On Stage

Je suppose que tu définis ton expérience sur scène uniquement par ce sentiment de liberté. De mélanger tes histoires avec d’autres, c’est grisant ?

Je pense que c’est essentiellement lié à l’environnement du club en fait. Je veux être capable de venir dans un endroit et d’en mesurer l’ambiance pour m’adapter. Venir avec un live préparé, c’est assez proche de ce que ferait un groupe quand il prépare un concert. Sauf que ton état d’esprit quand tu vas à un concert et ton état d’esprit quand tu vas dans un club sont très différent. Beaucoup de clubbers viennent sans forcément te connaître, et il faut quand même que tu sois capable de connecter avec eux.

Cette discussion me fait penser à l’une de mes meilleurs nuits en Angleterre, à Manchester, avec Inigo Kennedy et Antigone. Car l’environnement était parfait, que le soundsystem était adapté, et que Inigo mixait 3 ou 4 tracks en même temps – ses tracks ainsi que d’autres morceaux – j’avais l’impression qu’il racontait l’histoire que je connais de lui, mais encore plus clair, plus fort. Il allait chercher des éléments dans la musique des autres pour encore mieux exprimer son histoire.

Je pense que c’est comme ça que ça doit marcher. Je trouve qu’Inigo met en valeur d’une manière majestueuse sa musique lorsqu’il la joue. Je n’ai pas besoin de vérifier la tracklist, car ce qu’il joue sonne comme comme lui. Il a un signature sound vraiment défini. J’essaye de m’inscrire dans cette même logique. Parfois je joue un peu plus house, parfois un peu plus techno, mais j’essaye toujours de jouer Pär Grindvik. J’essaye d’apporter des saveurs à ce que joue, et en ce moment j’essaye de trouver une manière d’apporter la saveur de cet album sans en jouer les morceaux. Ce goût pour l’improvisation a toujours été présent dans le mixing, mais c’est un aspect qui revient en grâce aujourd’hui comparé à il y a une dizaine d’années. Les gens ont faim de ça.

J’ai l’impression que malgré la caractéristique mélancolique de ta musique, tu es un profond optimiste sur la vie.

(rires) Les gens passent leur temps à être négatifs vis à vis de tout, je pense que ça ne les mène nulle part. Quand j’avais mon magasin de disque, on vendait de la “techno” et de “l’électro de Detroit”. C’était intéressant car l’électro de Detroit était un genre de niche. Fait par des gens pour être cools vis-à-vis d’eux mêmes. Quand c’est devenu populaire, je me suis senti frustré car les gens l’ont consommée super rapidement avant de passer à autre chose. J’étais énervé que les gens abusent d’une musique avec laquelle je ressentais une relation particulière. Pour moi, évoluer dans une scène aussi nerdy que la scène électronique fait que je vis mieux si je ne passe pas mon temps à être énervé, à être destructeur. Je veux juste voir les choses qui me plaisent dans cette musique. Je comprends ce que les gens peuvent parfois dénoncer – la popularisation principalement – mais je pense que si tu t’enfermes dans ce schéma de pensée, tu ne vas rien produire de nouveau toi-même. Si tu as envie de le faire dark, alors fais-le dark. Ne fais pas attention à ce que les autres pensent. Tu peux être profondément attaché à ta musique tout en restant désintéressé de la manière dont elle est perçue.

Ta musique me semble grise. Elle est noire, mais vu qu’il y a de l’optimisme, elle est plus complexes que ça.

J’adore la musique mélancolique, et je passe peut-être plus de temps à être dark plutôt que heureux dans ma vie. Mais en même temps, je ressens le fait que tu ne dois pas laisser la négativité gagner. C’est quelque chose de contre-productif, contre-créatif. Pour moi c’est également lié aux années où j’ai commencé à tourner et à beaucoup voyager. J’étais dans un mauvais environnement, un mauvais état d’esprit. J’adorais le moment où j’étais sur scène, en club, mais ça en était devenu presque une addiction. J’étais incapable d’écrire car je me sentais vraiment mal quand je n’étais pas sur scène. Je voyageais tout seul, et je me tourmentais l’esprit à essayer de comprendre ce qui n’allait pas, au lieu de me poser la question sur ce que je fais, ce que j’ai envie de faire. Si tu te complais dans cette négativité, tu peux t’enfermer sans même t’en rendre compte. Tu t’empoisonnes l’esprit, et ensuite quand tu vas en studio, tu saignes sur ton drumkit. Et tu es tellement négatif que tu ne finis jamais rien. La bonne musique négative doit en partie être constituée d’un arc positif, avec l’ambition de la finir. Je ne sais pas si ça fait sens…

C’est totalement sensé. J’ai l’impression que l’élément clé dans ce que tu dis, c’est ce switch quand tu commences à réfléchir en avant et plus seulement sur toi-même.

Exactement. Ça et se détacher de cette notion de perception des autres. C’est ce qui a été fondamental dans mon parcours.

Par Grindvik Gif V2