Depuis sa création, le festival Days Off nous a habitué à des expérimentations qui interrogent le format du concert. La programmation offre de grands artistes avec de nombreux invités, des cartes blanches ou des relectures d’albums entiers par des plateaux éclectiques. Cette année, le festival s’ouvre aux musiques électroniques, et c’est l’occasion de questionner l’essence même du live électronique, comme celui de Todd Terje, comparé au live traditionnel, comme celui de Moodoïd, dans l’exemple présent. L’année dernière, Todd Terje se présentait déjà en live, seul avec son clavier, sur lequel il jouait quelques motifs reconnaissables, pendant que son ordinateur déroulait basses, batteries et autres enjolivements. Cette fois-ci, il joue avec The Olsens, en formation étendue, électronique et acoustique.

Que ce soit dans le rock, le jazz ou la musique classique, l’essentiel ou l’intégralité du son est produit par des instruments acoustiques. La particularité du live de musiques électroniques tient au fait que, la plupart du temps, un séquenceur, soit celui des machines soit celui d’un ordinateur, répète des motifs, pré-enregistrés, ou enregistrés en temps réel. Le live est ensuite composé en temps réel, soit à partir de boucles sans structure prédéfini, soit par des modifications du son d’une bande pré-enregistrée.

Pour le non initié, un live de musiques électroniques est donc moins évident à appréhender, d’autant que de nombreux artistes usent et abusent des facilités offertes par la technologie : qu’est-ce qui est joué en temps réel, qu’est-ce qui est pré-enregistré ? Joue-t-il vraiment de son clavier ? On se souvient des polémiques pour les concerts de Daft Punk, Justice, ou plus récemment Villalobos.

Ce soir-là, donc, au Philarmonique 2 – anciennement appelé Cité de la Musique, c’est Moodoïd qui ouvre le bal dans la grande salle de musique classique, dans une configuration nouvelle. Une scène a été dressée à l’une des extrémités de la salle ovale, coupée par de grands rideaux noirs – les orchestres jouent habituellement au milieu du public. Contrairement à de nombreuses salles parisiennes, les balcons occupent peu de place et le son est exceptionnel pour un espace aussi immense.

moodoid festival Days Off

Sur la scène quasiment nue, les cinq musiciens entrent tous de paillettes vêtus, et attrapent leurs instruments. Durant un set d’une demie heure précisément, Moodoïd joue tous ses – presque, bientôt, déjà – classiques : “Je suis La Montagne”, “Heavy-Metal Be Bop 2″… et termine par “De Folie Pure” avec un saxophoniste. Le groupe expérimente plus qu’auparavant, étire ses morceaux de plusieurs minutes. Pablo Padovani n’hésite pas à courir d’un bout à l’autre de la scène et peloter sa guitare dans des soli queeniens. Les chansons prennent du corps au fil des ré-interprétations et des mélodies qui se répètent longtemps, parfois jusqu’à une cacophonie joyeuse – les enceintes ne rendent pas toujours hommage aux subtilités harmoniques des compositions. Le groupe livre une prestation impeccable, interprétation unique de ses morceaux, qui permet à ce concert d’être également unique. Le rappel est inexistant, première partie oblige, et il est ainsi difficile de juger du réel impact sur le public, qui semble néanmoins attentif et déjà nombreux.

Passons rapidement l’entracte, une vaste plaisanterie très parisienne liée au caractère du lieu : puisqu’il est interdit de boire dans la salle de concert, la file d’attente du bar dure plus longtemps que l’entracte elle-même, il est donc impensable de boire une bière, fut-elle un demi.

toodd terje report

Vient ensuite la tête d’affiche du soir : Todd Terje – prononcer « terrier », on le répétera assez pour éviter de le mettre en rogne. Sur scène, de gauche à droite : un vibraphone, sorte de xylophone pour les adultes, un ampli guitare et quelques machines pour le premier musicien ; le grand clavier Nord et l’ordinateur de Todd ; des percussions en tous genres ; une batterie. Pendant les premières vingt minutes, le groupe déroule dans l’ordre l’album du norvégien sans fioritures, avec quelques images sur l’écran en arrière-scène. Todd tripote doucement son clavier, joue quelques accords et arpèges. Sur “Leisure Suite Preben” apparaît le vibraphone, sur “Preven Goes to Acapulco” la batterie et les percussions. Quand “Stranbar” démarre, le public s’est doucement échauffé et commence à danser, mais il manque encore un petit quelque chose. Les morceaux sont évidemment de bonne facture, le public a dansé sur leur enregistrement des dizaines de fois les derniers étés. Néanmoins, les musiciens ne convainquent pas vraiment de leur présence : le batteur est souvent immobile, les bras ballants, ou en doublon d’une rythmique pré-enregistrée. C’est pour le moment une victoire des sons numériques sur leurs homologues analogiques, de la compression et de la sécheresse sur la chaleur d’un coup de baguette. On a l’impression d’écouter le disque, sans autre sensation que d’être devant sa chaîne hi-fi, même si on note quelques transitions inédites – autre particularité du live électronique : il est souvent dénué de pauses entre les morceaux, l’objectif premier étant de faire danser.

Cependant, le clip de “Dolorean Dynamite” commence, et il devient difficile de ne pas bouger la tête. Le batteur commence enfin à frapper sa grosse caisse et le public se laisse entraîner dans les courbes de la route vers les collines de la danse. Et c’est enfin sur “Alfonso Muskedunder” – puisque le groupe continue à dérouler l’album, que la magie opère. On ressent enfin une certaine spontanéité live, l’absence – réelle ? – de programmation informatique. Le public hurle et se meut comme une petite mer agitée, les bras comme de l’écume. “Swing star”, par son format sinueux, est l’occasion pour les musiciens de montrer l’étendue de leur talent, et pour le public de se perdre dans les rythmes et mélodies jusqu’à la fin de “Oh Joy”. Une profonde inspiration et c’est l’heure de “Inspector Norse”, final emblématique de l’album, puisque c’est un des tubes les plus célèbre de Todd Terje. C’est l’évidente apothéose pour le dancefloor qui attendait depuis dix minutes de pouvoir exploser, et c’est là que réside toute la réussite du groupe. Il semble difficile de ne pas vouloir danser, sourire, bouger la tête, d’autant qu’une dizaine de danseurs entrent sur scène avec des guirlandes lumineuses autour du cou. Six ou sept minutes de plaisir intense, et la foule applaudit, chante en chœur la mélodie, en boucle et en rythme, ce qui est incroyable pour un public français, vous le reconnaîtrez. Le groupe salue, sort de scène, et la foule applaudit, hurle, chante, tape du pied, applaudit, hurle, rechante, puis hue lorsque les roadies commencent à ranger la scène.

Il n’y aura pas de rappel ce soir pour Todd Terje, et c’est encore une différence majeure entre les deux formes de live dont nous discutons. La raison pour ce concert est inconnue : est-ce le format festival, un choix de l’artiste, ou l’impossibilité de jouer un autre morceau sans programmation informatique ? Toujours est-il que le pari est réussi, puisque le live électronique a été à la hauteur du live traditionnel pour transmettre des émotions nouvelles, en comparaison avec le live solo de l’an dernier, ou le concert de Moodoïd. On regrette seulement, un certain manque d’improvisation, dans l’ordre des morceaux, dans leur structure, quelque chose de surprenant qui fasse de ce moment un moment inédit, et qu’on puisse dire : « j’y étais ». On regrette surtout, qu’une fois de plus, Todd Terje « oublie » de jouer sa magnifique reprise de « Johnny and Mary », que Bryan Ferry n’ait pas, exceptionnellement, fait un aller-retour à Paris pour chanter de sa voix grave et nous faire pleurer au milieu de la danse.