Il y a des moments comme ça où, au détour d’un coin reculé de l’internet, on fait la découverte d’une perle cachée. C’est comme ça qu’on peut faire la rencontre de groupes comme The Underground Youth, formation british jusque là passée sous nos radars.

Car si le web facilite ce type de découverte, il ne faut pas oublier pour autant que 90% des artistes continuent d’officier dans l’ombre, malgré une discographie souvent bien chargée et plus qu’honorable. On vous avait déjà évoqué le cas The KVB. Aujourd’hui, on passe de Berlin à Manchester pour un projet tout autant éclairé par la noire lumière darkwave. Et un cas tout aussi productif, puisque le groupe a sorti sept albums depuis sa création.

L’histoire commence avec “Morally Barren” et “Voltage”, deux premiers albums sortis en 2009, avec à peine un mois d’écart. Deux albums auto-produits par Craig Dyver, frontman aux manettes du projet Underground Youth. Une surproductivité qui s’étend sur l’année 2010 où Dyver sort à nouveau deux albums, “Sadovaya” et “Mademoiselle”.

Force est de constater que dès les premières notes d’une de ses chansons – tous albums confondus – on se retrouve facilement ensorcelé par cette équation psyché aux accents post-punk, de laquelle on dénote distinctement les guitares et la reverb chères au genre.

Avec ses ballades, l’album “Mademoiselle” se démarque de ses prédécesseurs, plus bruts. Sans jamais s’approcher de l’hymne rock mielleuse, les morceaux “Hedonism”, “Crash (B Jam)” et “Une Saison En Enfer” sont des poèmes psyché qu’on se retrouve facilement à faire tourner en boucle. L’album reste d’ailleurs le plus écouté du groupe à ce jour, pour peu qu’on prenne comme baromètre le diabolique compteur de vues de Youtube.

Craig Dyver tourne accompagné de deux potes à la basse/guitare et de sa femme à la batterie (et au chant occasionnel), mais crée toutes ses chansons seul, chez lui, pour avoir la liberté de “pouvoir se réveiller au milieu de la nuit et aller créer quelque chose sorti de nulle part ailleurs que son propre esprit”. En puriste qui n’accepte aucun compromis sur sa création, Dyver fait figure de dernier des mohicans de l’auto-production : le gimmick du poète torturé créant seul dans sa cave n’aurait pas su trouver meilleure image.

Le projet a tout de même un label, Fuzz Club Records, structure londonienne focalisée sur le psyché et le rock expérimental. Son créateur Casper Dee déclare avoir eu l’idée de créer le label par trois évènements simultanés dont l’un n’est pas étranger à l’existence d’Underground Youth :

Dans l’espace de la même semaine, je me suis cassé la jambe, j’ai découvert The Underground Youth et une galerie m’a fait une offre d’achat sur une gravure de Banksy que je possédais.”

Sur certains morceaux, les influences mancuniennes de The Underground Youth sont tellement perceptibles qu’on pourrait presque les palper : de l’évidence Joy Division aux Stone Roses, Dyver prend à sa charge le lourd héritage de la ville anglaise dont la scène rock est aujourd’hui décrite comme à l’abandon. Mais limiter ses influences au seul patrimoine de Manchester serait une erreur, car les guitares et la voix trouvent aussi leurs sources plus au nord, chez les écossais de The Jesus & Mary Chain et Primal Scream.

Il faut dire que les figures encore actives du rock psyché se font aujourd’hui rares : avec les Black Angels, l’infatiguable Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre apparaissent comme les seuls indétrônables, là où le reste de la musique psyché tend vers la pop et les voix haut perchée à la Tame Impala. À l’image de Craig Dyer, ce qu’il reste de la scène anglo-saxone opère majoritairement en souterrain, à raison de mixtapes ou d’éditions limitées.

Avec au moins une sortie d’EP ou d’album par an (et parfois les deux), Dyver trace son chemin dans cette scène, indifférent à sa quote de popularité et aux qu’en-dira-t-on. Sur le titre “Dystopia” de son album “Delirium”, il rend un hommage inattendu à l’instrument typique d’un de ses artistes préférés : Dylan et son harmonica. Au fil du temps et des projets, quelques voix féminines viennent aussi s’imposer au sein des morceaux, le plus souvent en background, englouties sous des couches de reverb.

Le septième album de The Underground Youth, “Haunted”, est sorti à la rentrée et s’annonce comme une rupture à petite échelle : tout en gardant la même recette, on y explore un registre plus sombre par l’austérité des voix, à l’image du lugubre titre d’ouverture “Collapsing Into Night”. Les noms des morceaux (“Slave”, “Self Inflicted”, “Returning to Shadow”) donnent le ton d’une construction fragile, bancale, prête à s’écrouler. Cet aspect plus dépouillé, tourné vers une noirceur propre au post-punk, fait de cet album une beauté funèbre s’écartant du monde réel. Noir c’est noir.