On vous a déjà dit tout le bien que l’on en pensait. C’est cette semaine que Nonkeen sort “The Gamble” sur le légendaire label R&S Records. Nonkeen, c’est avant tout une vieille bande d’amis qui partagent l’amour du jam à trois. En tête de proue, Nils Frahm a impressionné la scène électronique ces deux dernières années avec des lives surpuissants, prônant l’interprétation au centre de l’acte.

C’est dans une dimension plus expérimentale néanmoins que se situe son dernier projet. Accompagné par ses amis d’enfance Frederic Gmeiner et Sebastian Singwald, le trio explore de nouveaux territoires sonores, entre contrées électroniques et parages jazz.  On a discuté par écrans interposés avec Frederic pour en savoir plus.

Vous êtes tous les trois des vieux amis, mais si je ne me trompe pas ce n’est pas la première fois que vous sortez de la musique ensemble. Votre première formation, Übertonmensch, avait sorti un EP en 2009 et avait fait quelques dates. L’idée était déjà d’amener l’énergie du jazz dans le monde électronique. Est-ce que Nonkeen est juste une nouvelle façade de ce projet ?

Oui c’est pratiquement le même projet. Il y a quelques années, on officiait sous ce nom, bravo pour nous avoir trouvés ! On a changé le nom car on voulait entamer une nouvelle page, c’est pour ça que c’est Nonkeen désormais. La matière première de The Gamble est également différente de ce qui nous servait pour Übertonmensch. Au delà de ça, notre manière même de travailler est très différente et a évolué.

Justement, quand on compare « Chasing god through palmyra » au son de votre ancien projet, on peut toujours sentir l’énergie jazz mais les instruments acoustiques semblent être un peu plus en arrière-plan. Le sampling a l’air d’être beaucoup plus prévalent, n’est-ce pas ?

C’est marrant car c’est un peu l’opposé en fait (rires). Vous verrez quand vous écouterez à l’album en entier, car « Chasing god through Palmyra » fonctionne très différemment des autres morceaux de l’album, c’est un peu l’exception. Je trouve que c’est intéressant d’avoir sorti ce morceau en premier, car il se distingue des autres qui ont une approche un peu plus « live ». Egalement, tous les autres morceaux ont été écrits depuis notre studio de répétition. On a enregistré nos jams et on les a mis de côté pendant pas mal de temps. Il y a un an et demi, on a commencé à retravailler ce matériel. On n’a pas tant que ça édité ce qu’on avait enregistré, à l’exception de « Chasing god through Palmyra », c’est pour ça que vous le trouvez plus « samplé ». Mais notre son reste très proche de ce que l’on obtient en jammant.

Evidemment, ce projet est destiné à monter sur scène. Vous avez une idée de comment vous allez transposer cet album en live, notamment en comparaison de ce que vous aviez fait ensemble avant ?

On travaille sur ça en ce moment. On ne va certainement pas présenter l’album brut sur scène. Le cœur du projet est de nous faire jouer tous les trois ensemble, puisque les morceaux sont nés à partir de ces jams. On n’a pas fait de live depuis deux ans, et à l’époque on avait été invités à jouer à Hambourg dans une salle assez intimiste. Dans ce genre de set-up on aime bien improviser, même si on a quelques thèmes récurrents. Ce que l’on préfère, c’est commencer à jouer et voir ce qui arrive. Donc pour les shows qui vont arriver on va essayer de trouver le bon équilibre. On aura une tracklist mais on veut aussi garder des moments d’improvisations un peu plus flottants.

Pensez-vous faire une grande tournée cette année du coup ?

Oui, de plus en plus de dates sont en train de s’ajouter et c’est en train de prendre pas mal d’ampleur, à priori on va être sur les routes pendant au moins trois semaines.

Est-ce aussi dû au fait que vous sortez cet album sur R&S, cette prise d’ampleur ?

Oui certainement. Nils a l’habitude de sortir ses projets sur Erased Tapes Records. Mais on a rencontré les gens de R&S il y a quelques temps, et ils se sont montrés tout de suite très intéressés par ce projet et on s’est dit « pourquoi pas ? ». Cela nous permet d’essayer de faire quelque chose de nouveau, ce qui va bien avec le fait que c’est un nouveau projet, qui part dans une nouvelle direction. Jusqu’à présent, on à rien à redire sur R&S, ils ont été très accueillants et professionnels. Et la symbiose a l’air de se faire plutôt naturellement, vu que R&S est également dans une branche assez expérimentale.

Oui, une ligne générale cohérente a l’air de se dessiner chez R&S. Typiquement, on pourrait rapprocher The Gamble des dernières sorties de Nicolas Jaar chez eux.

Exactement, je pense que ça s’intègre parfaitement dans cette veine « expérimentale ».

La fusion de l’électronique et du jazz a l’air de plutôt bien se porter ces dernières années, avec par exemple Flying Lotus nominé pour un Grammy, ce qui en dit long sur la reconnaissance de ce nouveau territoire. Quels sont les artistes de la scène actuelle qui peuvent vous inspirer ?

Il y a toute une série de projets et d’artistes qui rentrent dans nos inspirations. Mais le cœur de tout ça pour nous, c’est l’approche expérimentale des seventies : combiner des genres différents pour les fusionner en live. Nils et moi sommes également fans de musique électronique, mais quand nous nous rencontrons on aime surtout jouer en live ensemble. Le problème de la musique électronique, c’est qu’il est très facile d’écrire avec des ordinateurs mais également très difficile de trouver la musicalité en jouant live à plusieurs. Vous mentionnez Flying Lotus, et c’est justement une nouvelle dimension de spontanéité par rapport à ce qui a été fait avant. La musique techno est très bien également, mais le centre de gravité est plus autour de la répétition et de la production que de la musicalité. Et c’est ça justement qui a l’air de changer ces dernières années, les artistes électroniques arrivent à insuffler une vraie musicalité dans des productions informatisées.

De nombreuses personne comparent d’ailleurs votre son à celui d’Apparat, vous en pensez quoi ? Car il a justement le même processus d’apporter l’énergie acoustique dans l’univers électronique. Et votre son comme le sien se retrouve sur un même aspect très mélancolique et intellectuel.

Oui c’est vrai. Je n’y avais jamais vraiment pensé mais il y a quelque chose de vrai dans cela. J’aime beaucoup la musique d’Apparat d’ailleurs. Sur le reste, on préfère laisser les auditeurs faire leurs propres comparaisons et leurs propres idées. Le cœur reste cependant toujours le live avec nous, et c’est bien sûr inspiré de ce que l’on écoute tous les jours.

Vous écoutiez tous les trois les mêmes choses durant les enregistrements ? Vous étiez tous sur la même longueur d’onde ou alors fonctionniez plus d’une manière complémentaire ?

C’est une bonne question. On se connait depuis très longtemps, et au-delà du fait de jouer de la musique, écouter et découvrir des choses ensemble est aussi une grande partie de notre amitié. Et c’est marrant car souvent quand on ne s’est pas vus depuis plusieurs semaines et que l’on se revoit, on se rend compte qu’on a eu les mêmes coups de cœur et qu’on a acheté les mêmes albums, c’est effrayant parfois (rires). Quand on était plus jeunes et que l’on faisait de la musique, on avait vraiment deux parties distinctes : l’écriture et le séquençage d’une part, et la répétition et le jam d’autre part. Au bout d’un moment on s’est rendus compte que c’était surtout le fait de jouer tous les trois ensembles que l’on appréciait, et à partir de là on a cherché à ne pas trop éditer ce que l’on faisait. Si on a aimé quelque chose, on le garde, et sinon on le jette et on continue sur autre chose. C’est aussi pourquoi on se dit souvent que la chance est le 4ème membre du groupe. Ces coïncidences sont fondamentales dans notre processus musical. Notre son s’est également simplifié au fur et à mesure des années d’une certaine façon. On cherche à être un peu plus direct.

Vous recherchez un peu plus l’énergie que l’écriture dans un cadre plus grand, non ? Chercher à ressentir un groove en quelque sorte ?

Oui exactement, et donner de l’espace pour notre musique, pour qu’elle respire. Quand on a réécouté à certains de nos enregistrements des mois après, on s’est rendus compte que c’était très agréable de retravailler quelque chose avec des oreilles fraîches. On a essayé de garder cette respiration en tête quand on jouait. On ne voulait pas quelque chose de trop parfait.

Si l’on revient sur vos influences, est-ce que vous aviez un album en particulier en tête quand vous travailliez sur ce projet ?

Il y en a tellement ! Mais si je devais en nommer un, peut être « Return to forever » de Chick Corea. Mais il y en a tellement d’autres, c’est très difficile de répondre. Cela nous est arrivé de jeter des choses car on trouvait qu’elles sonnaient trop proches de certaines de nos inspirations. Je pense qu’on essaye de garder les moments qui nous plaisent musicalement, mais aussi ces moments qui nous surprennent nous-mêmes à la réécoute, c’est ce qui nous permet de trouver notre identité.

Et je suppose que ça doit être plutôt effrayant de se dire qu’il faut transposer ces moments uniques sur scène n’est-ce pas ?

Avec d’autres projets je le serai sûrement, mais pas avec Nonkeen. Ça a beaucoup à voir avec la confiance que l’on a les uns pour les autres. On joue ensemble depuis si longtemps que l’on sait qu’il y a une grande écoute mutuelle. On est d’autant plus confiants que l’on est déjà montés sur scène tous les trois ensembles.

Est-ce plus grisant en tant que musicien de chercher cette énergie-là ?

Oui complètement, et c’est typiquement ce que recherche Nils dans ses nombreux lives. Et c’est également ce qui rend chaque concert unique, car cette énergie est au finale très singulière. Et cela inclut les erreurs que l’on peut éventuellement faire, ces erreurs-là s’intègrent entièrement dans ce processus. Cette mentalité-là encore une fois, est assez proche de ce qui peut nous inspirer dans les années 70. Je trouve que ça manque dans les performances lives de nos jours, cette spontanéité.

Et c’est quelque chose de plus en plus recherché ces dernières années. De nombreux artistes électroniques ont franchi le cap du live, comme James Holden. D’autres font des fusions très ambitieuses, comme Jonny Greenwood avec cet album écrit avec un collectif indien. Pensez-vous que notre époque, et là où nous en sommes, est à propos de fusionner les différentes énergies d’une façon différente ?

Oui c’est vrai. Et c’est quelque chose qui n’est pas propre à la musique et on peut avoir la même analyse dans d’autres domaines artistiques, comme le cinéma. Les gens sont fatigués de la perfection je pense. On recherche davantage la personnalité et la singularité dans les œuvres, ce qui inclut la possibilité d’échouer, et cela effraie beaucoup de gens. Il n’y a rien de mauvais à échouer, c’est même quelque chose qui peut vous faire progresser. Le fait d’être authentique permet d’être réceptif au public qui vous entoure, à la salle, au moment, et les gens recherchent ça désormais. Je pense que c’est aussi une réaction à comment la pop est créée, voir même planifiée. Plus généralement avec la musique électronique, il devient trop facile de faire des choses parfaites et c’est une bonne chose que l’on retrouve un esprit d’aventure.

Pour terminer, vous avez un mot à dire à votre public français ?

Spécifiquement au public français (rires) ?

C’est la question piège (rires).

J’ai appris quelques mots en français à l’école quand j’étais plus jeune, et j’aime vraiment cette langue. Je sais dire « Je suis un cracheur de feu ». C’est comme ça que les allemands apprennent le français (rires). Non plus sérieusement on est impatients de venir jouer à Paris (ndlr: Nonkeen y jouera le 24 avril au Café de la Danse).

D’autant plus que le public français a besoin de ce genre d’évènements ces temps-ci.

Oui c’est complètement vrai, particulièrement dans la période actuelle, nous apprécions de monter sur scène et ne pas être effrayés d’aller à la rencontre des gens. Notre morceau « Chasing god through Palmyra » parle un peu de ça, du fait que l’attaque sur la culture, les cultures, quelles qu’elles soient, est inacceptable et injustifiable.