Inéluctablement, les fondations cimentées du passé servent de base pour tout. De ses prémices des années 70 à nos jours, les racines punk et alternatives du indie rock que l’on connaît aujourd’hui se sont miraculeusement mutées en un genre à part entière, l’appartenance d’un groupe à un label indé étant devenue pour ainsi dire facultative. Et c’est bien cette pluralité de lignes directrices empruntées par ces artistes qui rendent le rock indé particulièrement intéressant. Qui n’a jamais succombé aux riffs tranchants de Bloc Party, aux rythmiques violentes des Arctic Monkeys ou à l’univers onirique de Foals ? Ces susnommés ont apporté leur pierre à l’édifice à leur manière, modelant l’indie comme une religion peut comporter plusieurs branches. Parmi les fidèles, on trouve tout de même des microcosmes résolus à rester dans une optique underground. C’est le cas du math rock, cousin intellectuel du mouvement indie majoritaire qui allie l’instrumentation du post rock, l’énergie du indie rock et la complexification rythmique du jazz.

Les origines du math rock

On ignore quand ce style a réellement émergé puisque dès les années 60 / 70, Frank Zappa, King Crimson, l’avant-garde rock et le rock progressif en posaient déjà les bases empiriques. Selon les musicologues et spécialistes, le math rock serait né à la fin des 70’s avec des groupes comme Massacre, Captain Beefheart et John Zorn, artistes qui ont eu un impact déterminent sur la scène des 90’s à nos jours. En effet, qu’elle soit créative ou avant-gardiste, la musique produite par un artiste fouille toujours ses ingrédients dans les productions antérieures ou contemporaines. Les génies du rock d’antan ont tellement expérimenté leur art qu’on les cite encore aujourd’hui comme influences majeures de certains groupes. Ce résonnement prend tout son sens dans le math rock sachant qu’il s’agit d’un courant véritablement dédié à l’expérimentation sonore, de la (dé)construction rythmique à la composition mélodique d’un morceau.

Des ingrédients sonores hétéroclites

Les débuts et fins de mesures s’éveillent de façon volontairement irrégulière, si bien qu’il n’est pas rare d’entendre des mesures éreintantes au niveau des temps. 7/8 puis 3/8 puis 15/8… En d’autres termes, la rythmique binaire standard de 4 temps par 4 disparaît pour laisser la place à une syncopée asymétrique, dite « mathématique ». De toutes les écoles du rock, le math rock en est certainement la forme la plus difficile à aborder et à dompter de par ses codes stricts. Fréquemment centrée sur des mélodies angulaires jouées en accords de guitares dissonants, la facette résolument instrumentale du math rock se rapproche cruellement du post rock avec qui il partage de nombreuses similarités (instrumentation développée, dominante expérimentale, psychédélisme obnubilé…). Nombreux sont les groupes de post rock s’essayant régulièrement au math rock dans leurs albums (65daysofstatic, This Will Destroy You…). Toutefois, le math rock se révèle assez malléable pour se greffer à différents courants plus importants tels que l’electro ou l’indie. Circonstance qui l’établit comme un mouvement éclectique, érudit et attrayant. Les groupes flanqués de son sigle sont en effet nombreux et fournissent des ouvrages longs, complets et impérissables.

Battles

Les mélodies livrées par le groupe, volontairement psychédéliques, plongent dans les entrailles de la musique elle-même. Sons bizarroïdes, voix altérée au vocoder, guitares stridentes… Le travail des britanniques fait en fin de compte office de brouillon artistique dans lequel se confrontent idées électroniques et batteries tribales cadencées. Battles possède une place de choix dans la hiérarchie du math rock grâce à sa signature sur le label Warp, réputé exigeant. Mais la légitimité du quartet se révèle au grand jour grâce à son leader et fondateur Ian Williams, ex membre de Don Caballero, groupe précurseur du genre. Capables de raccourcir une plage expérimentale de 10 à 4 minutes (“Atlas”), les anglais savent parfois développer leur imagination au maximum tout en rendant la musique accessible. “Tonto” illustre parfaitement ce propos grâce à son harmonie entrainante et ses effets visuels réalisés par le collectif d’artistes UVA (United Visual Artists).

Don Caballero

Formé au début des années 90 en Pennsylvanie, « Don Cab » est un groupe phare du mouvement. Inspiré par des formations avant-gardistes comme Captain Beefheart ou Massacre jusqu’à Frank Zappa, le groupe possède un son extrêmement brute. On y renifle de nombreux aspects du punk et du rock progressif, ce qui en fait un groupe au son assez lo-fi, c’est à dire brouillon et rocailleux. La particularité du groupe réside dans sa discographie, faite de 5 opus tous proches musicalement mais relativement différents. L’explication la plus plausible résiderait dans les nombreux changements de line-up au cours de deux dernières décennies, chaque membre ayant une vision différente de l’expérimentation et de la création musicale. Don Caballero est également l’un des rares groupes à faire ressortir une forte composante jazzy. Des cymbales caressées à la caisse claire desserrée livrant un son presque sourd similaire à un tambour militaire, les ingrédients du groupe se veulent véritablement cosmopolites.

This Town Needs Guns

L’héritage musical de ce trio confirme la qualité de ses œuvres. Basé à Oxford (Foals, Radiohead, Ride…), « TTNG » produit une musique aux métriques souvent carabinées mais aux lignes phoniques affables. La complexité des riffs entrecoupées effectués fréquemment en finger picking se mêle à des basses discrètes et mélodiques. Ce couple d’instruments construit un environnement sonore au sein duquel l’alchimie règne et dans lequel on se perd de façon agréable. This Town Needs Guns présente aussi un goût ferme pour le changement brusque de thème, de la cécité cérébrale à la danse éreintée. On peut lui trouver une certaine similarité à American Football qui l’a indubitablement influencé.

American Football

Natifs de l’Illinois, l’une des terres ancestrales du math rock, le trio n’aura sorti qu’un album sur le prestigieux label Polyvinyl Records avant de se séparer en 2000 pour se reformer 14 ans plus tard. Véritable projet studio, l’agencement et l’exécution des accords rendent la musique du groupe pour le moins émotive. A l’instar de This Town Needs Guns, les pistes comportent des lyrics confessionnels toujours prononcés par le ton suave du chanteur. Toutes ces données instaurent American Football comme groupe transversal entre le jazz, le math rock et l’indie rock voire jusqu’à l’emo. Plutôt doux à l’écoute, le son de la formation la rend accessible et offre un bel avant goût du math rock grâce à ses chansons courtes (5 minutes maximum) tandis que ses alter égos jouent parfois pendant plus d’un quart d’heure.

Lite

Le quartet de Tokyo est adepte de la célérité. Les japonais de Lite délivrent des morceaux aux harmoniques sophistiquées qui vont terriblement vite. La basse s’acoquine intelligemment avec les guitares en grattant des accords d’une propreté inouïe. Les consonances communiquent et se dédoublent dans l’urgence à tel point que l’usage du looper se montre obligatoire. La charge émotionnelle de leurs tracks a permis à chacun de leurs albums d’entrer dans les charts au pays du soleil levant. De plus, le triomphe de leur premier album Filmlets (2007) leur a ouvert les portes de l’Europe, du Royaume-Uni et des Etats-Unis en signant respectivement chez Cargo, Transduction et (surtout) Topshelf Records, label indé foyer de grands noms de la scène underground nord américaine (Braid, The Jazz June, We Were Skeletons). Deux continents, trois maisons de disques. Un tour de force non-négligeable étant donné le caractère abracadabrant du math rock, destiné à une audience de passionnés plutôt qu’au grand public.

Tricot

Cette formation japonaise entièrement féminine n’est pas en reste face à ses homologues. La rapidité d’exécution des accords joués par Tricot se calibre constamment au tempo de la batterie qui varie entre détente narcotique et vivacité téméraire. Avec un champ pop assumé, la valeur ajoutée de ce jeune groupe demeure dans sa symphonie accueillante mais qui revient tout de même au fondamentaux du math rock précédemment énumérés. Ce son les réfère vite à Don Caballero bien qu’elles choisissent de moins développer leurs ambiances. Ce qui ne les empêche pas d’assumer clairement leur appartenance au math rock en appelant leurs morceaux « 3.14 » ou encore « 99.974 », en référence aux structures rythmiques alambiquées du mouvement.

Papier Tigre

Si ce nom de vous est pas inconnu, c’est certainement parce qu’ils sont français, de Nantes plus précisément. L’avantage de leur math rock demeure dans sa facilité d’accès. Les breaks n’apparaissent pas légions parmi les larsens des guitares et les basses fortement saturées, et le chant en anglais assiste grandement l’auditeur dans son éducation à cette musique aux composantes démantelées. On y décèle dans les cris et tempos résonnants des similitudes avec Future Of The Left, groupe alternatif quasi mythique dans la culture underground britannique. Leurs tracks se veulent surtout répétitives et simplistes dans les constructions rythmiques à la différence des autres formations qui instaurent différents thèmes dans leurs répertoires.

Chevreuil

Le duo nantais Chevreuil transpire sur scène depuis 1998. Ayant traversé les âges en vivant le renouveau du rock indépendant, l’expérience et la vision de ce combo lui apporte une vivacité d’esprit, une cheminement de réflexion éclectique  et une touche créative prenant en compte chaque renouveau auquel le genre a assisté depuis sa création. En conséquence, leur partie pris fusionne un math rock passant les fûts à tabac de façon retenue à de la noise rock électronique. Leur travail sonore s’implique en fait davantage sur le dispositif de sons et de nappes synthétiques que sur des parties batteries embrouillées. Dans l’ensemble instrumentales, leurs chansons n’en paraissent pas moins dures à exécuter. Leurs influences punk des années 70’s rendent leurs réalisations nerveuses et relativement courtes en comparaison des morceaux du genres.

Foals

Le quintet d’Oxford mondialement reconnu et acclamé par la critique a eu le temps de se trouver un son unique et inimitable pendant ses années d’activité. Pourtant, l’origine stylistique du groupe emmené par Yannis Phillipakis se situe dans un math rock neutre et sans bavure, dans lequel se fond régulièrement guitares métalliques, chœurs clamés haut et fort et une batterie partant avec un voire deux temps de retard. “The French Open”, qui ouvre le premier essai du groupe Antidotes en 2006, en est l’exemple le plus célèbre.