En concert au Plan (91) le 7 Novembre dernier, Chapelier Fou présentait un nouvel album, mais aussi et surtout une nouvelle formule live, à quatre. Fort de sa rénovation complète et d’une réouverture lancée sur les chapeaux de roues, Le Plan accueillait le quatuor dans sa partie club, en présence du collectif Sourd’Oreille qui filmait l’intégralité du concert.

Une petite salle de 150 places pour un concert intimiste qui allait plonger le public dans les méandres lyriques du mariage entre les cordes, le vent et l’électronique. Les boucles se font plus discrètes et l’histoire se raconte à 8 mains. Chaque musicien multiplie les instruments et repousse les limites d’expérimentations sonores du groupe, qui donnent à la musique de Chapelier Fou une nouvelle ampleur.

Curieux de toutes ces nouveautés et de sa musique en général, on en a profité pour poser quelques questions bien senties à Louis Warynski aka Chapelier Fou.

Pour ce nouvel album, quels étaient tes objectifs artistiques, comment est-ce que l’on se renouvelle lorsque l’on est presque le seul représentant de son genre musical ?

CF : C’était quelque chose de vraiment vrai sur ce disque là, parce que j’étais très fatigué à la fin de la tournée de Invisible. J’avais pas pensé être musicien, que je tournerais, que je serais si seul et stressé, si pris dans un truc à la fois vachement personnel et avec le devoir de le partager. Quand ça devient ton métier tu as forcément à cœur de faire les choses bien, et ça a été super dur et à la fois génial pendant quelques années. Et puis à un moment j’ai plus été bien, j’étais très fatigué et très déprimé (enfin y’a sûrement des gens bien plus déprimés que ça mais quand même), et j’ai décidé de prendre une année sans tournée.

Comment tu t’es occupé cette année là ?

CF : Du coup j’ai pris le temps de la musique pour moi notamment beaucoup de synthé modulaire, beaucoup d’expérience, de la musique pour des installations. Et puis de la musique de film sur un long métrage qui m’a prise pas mal de temps, qui n’est toujours pas finie d’ailleurs. Tout que j’avais pu théoriser, conceptualiser ou formaliser dans mon propre monde à moi, je l’ai digéré et j’ai compris que j’étais musicien et que c’était libre à moi de changer. Ça a été énormément de travail et d’implication. Je me suis dis que j’étais assez fier de ce que j’avais fait et que c’était le moment de passer à autre chose, et du coup j’ai pris la décision de ne plus tourner seul.

Et à partir de là ?

CF : J’en ai parlé avec les gens qui m’entourent pour voir si c’était possible de faire quelque chose. Je me suis dit que de toute façon j’allais faire un disque parce que les disques je les ai toujours fait seul et que ça ne changeait rien d’avoir des vues sur l’avenir ou pas. Je me suis sorti de cet espace plein de contraintes que je m’étais fabriqué. J’ai fait un disque comme je le sentais sans enregistrer de boucles, avec des enregistrement beaucoup plus linéaires.

J’étais plus dans un travail 100% studio au long terme et donc à foutre tous les instruments que je voulais sans me préoccuper du live. Vu que la structure des morceaux ne partait pas d’une prise live, je pouvais ajouter les instruments les uns après les autres, des trucs que j’aurais jamais pu faire ou approcher en live.

 

Comment tu en es arrivé à cette formule live ?

CF : Je savais que si je jouais ce serait avec des musiciens, et j’ai réussi à trouver une formule qui fonctionne et à trouver des gens avec qui ça marche super bien, et ça marche vraiment super bien.
C’était très stressant pour moi parce que c’était pas du tout joué d’avance et je me posais la question aussi de savoir comment est ce que ce serait ressenti étant donné que j’étais vachement identifié comme un artiste solo.

C’était un nouveau départ, une grande prise de liberté et une grande inconnue au niveau du live, et quelques mois de répèt’ plus tard voilà.

Au final quand on vous voit tous les quatre, il y a une impressionnante complicité entre vous alors que toi justement tu avais l’habitude de jouer seul. Comment est-ce que tu vois cette nouveauté, d’avoir des gens sur scène pour partager ta musique et ta relation avec le public ?

CF : C’est vraiment génial, je les aime profondément. Après, c’est quelque chose que je peux me permettre maintenant parce que j’ai galéré pendant des années pour faire un truc tout seul. Je ne le regrette pas une seconde, je trouve ça super intéressant tout ce que j’ai pu faire avant, mais je trouve ça flatteur et réjouissant qu’il y ait 3 personnes ravies et hyper impliquées dans ce qu’ON fait. Pour moi Chapelier Fou c’est un groupe maintenant.

Tu fais partie des artistes français qui s’exportent bien à l’étranger, est-ce que le fait de jouer de la musique sans paroles est un facteur important dans cette facilité à l’export ?

 CF : De manière générale oui, le fait de faire de la musique sans paroles ça ne se limite pas à un discours et à quelque chose qui est censé être compris dans une langue. Ça faisait partie de mes craintes aussi, le fait de ne plus pouvoir voyager autant et aussi loin que lorsque j’étais seul, ce qui coûte forcément moins cher que pour quatre.

Pour moi c’est clair que c’est le groupe ou rien, au départ les tourneurs ont voulu que j’ai un projet solo pour pouvoir tourner à l’étranger. Ça a été long d’imposer ma volonté de jouer avec un groupe quitte à voyager moins et moins loin. Après, si les opportunités d’aller loin se proposent on est tous les quatre super chauds et on sera ravis. Et ça a l’air de se profiler alors tant mieux, ça veut dire que j’ai eu raison d’être buté et de dire c’est comme ça et pas autrement.

Est-ce que vous avez déjà des projets futurs avec tout le groupe ? Le prochain album peut-être ?

CF : Prochain album je sais pas, je ressens un peu l’envie de faire des choses en ce moment, et puis j’ai recommencé à bidouiller en me demandant ce que j’allais refaire plus tard comme disque. Il y a quelques trucs d’enregistrés mais c’est tout à fait timide pour l’instant et prématuré en terme de calendrier, mais vu que je le ressens… je le fais.

 

Tu parlais de musique de film un peu plus tôt, est-ce que tu as déjà pensé à intégrer la vidéo à ton travail personnel ?

CF : Tout ce qui est vidéo de promo ou des montages live je suis complètement pour, ça faisait longtemps que j’attendais un live bien filmé. À part ça, je suis contre le superflu. Pour moi la musique c’est un monde énorme, si des gens vont à un concert et disent « oh y’a pas de vidéo j’en prend pas plein la gueule », bah je veux pas de ces gens là à mes concerts. À mon avis c’est des gens qui se trompent. Si on a à tout prix besoin de vidéo pour vivre un concert et justifier le fait de se déplacer, c’est qu’on aime pas vraiment la musique. Et puis j’ai vu tellement de trucs nuls. Je suis pas contre le fait de trouver un truc qui marche et qui est cool mais il faut que ce soit ultra pertinent et bien fait. Il en est question mais je suis encore en train de chercher ce qui serait bien.

Est-ce tu peux nous en dire plus sur ce long métrage ?

CF : C’est un long métrage de marionnettes Tchèque fait entièrement en stop motion. C’est fait vraiment à l’ancienne, un truc fou, un boulot de dingue. C’est une équipe super réduite autour du projet, ça fait deux ans qu’ils bossent dessus.

Ce sera un film muet ?

CF : Oui complètement muet, j’ai créé une heure de musique pour un film qui durera 1h10.

Comment as-tu intégré le projet ?

 CF : En fait à la base ils voulaient Yann Tiersen pour leur musique, et vu que lui n’était pas intéressé notre éditeur a proposé ma musique. Moi ça m’intéressait à mort, j’adore la musique de commande, bosser pour des installations, de l’art contemporain…

J’étais beaucoup à Prague dans le studio au milieu des marionnettes à faire la musique. D’être dans le studio avec les marionnettes, l’équipe, les animateurs, et voir le travail tout en longueur pour 2 secondes de vidéo à la fin d’une journée, j’ai trouvé ça vraiment génial comme ambiance. Toute la construction des décors, la peinture de chaque pièce à la main, c’est vraiment fou.

Ce sont des choses qui t’inspirent aussi dans ce que tu fais en dehors ?

CF : Forcément oui. C’est ça que j’adore dans les boulots de commande, c’est que t’as pas les même timing et tu as plein de contraintes, du coup tu inventes des trucs que tu n’inventerais pas si tu avais deux ans devant toi et aucune limites.

Quand on te dit que c’est la musique qui correspond au CD que le mec met pour draguer la fille et faire du bruit dans la rue, qu’elle l’écoutera ensuite dans son discman et que ça va la faire rêver… T’as des contraintes et des cadres super précis et tu te demandes « Comment je peux répondre à cette idée là et servir le film ? ». Du coup tu vas complètement ailleurs que ce que tu ferais en temps normal.

On retrouve ce côté « conte » dans ta musique, comme si vous racontiez une histoire à 4 au travers de ce que vous jouez et de vos échanges dans la musique et dans les regards, la complicité que vous avez sur scène.

 CF : C’est comme ça que je vois les morceaux en eux même, comme des aventures musicales. C’est à dire que tu as des figures musicales qui voyagent, qui disparaissent et qui reviennent, des transformations, des ruptures, c’est forcément une narration. Ensuite, entre musiciens, les morceaux ont une autre histoire, que ce soit des choses qui nous arrivent en répétition, des craquages, fous rires, chaque note te renvoie à plein de souvenirs.

Que la route soit longue pour ces quatre qui jouent leur musique avec le coeur.