Koudlam offre sa vision de la station balnéaire Benidorm dans son dernier album Benidorm Dream, sortie le 13 octobre. On se demande aisément ce qui a fasciné Koudlam à Benidorm. Le bruit martelant et constant des marteau-piqueurs énervés de ne pouvoir construire plus rapidement la 136 ème tour de cette ville artificielle ? La liste de clubs interminables qui chantent le même disque tous les soirs, comme un tour de manège maudit ? Voyez par vous-même.

Votre dernier album, Benidorm Dream est sorti le 15 octobre dernier. Qu’est ce qui vous a donné envie de mettre en place ce projet ?

Apres Goodbye, je voulais faire un album différent, je voulais changer mes habitudes. Il me fallait un nouveau cadre. Un ami connaissant mon amour pour les beaux quartiers verticaux et pour les ruines futures m’a dit “tu devrais aller là bas, c’est l’Eldorado”. Mais, avant d’y mettre les pieds, c’est le nom lui même qui m’a d’abord plu, le mot Benidorm, qui sonnait effectivement comme un mirage, et qui me faisait penser à un personnage mythique et obèse; j’imaginais une sorte de gros Buddha aux yeux fous assis sur un océan d’immeubles en train de gober des grappes de raisin et de se marrer. Je voulais un cadre de science fiction à mon futur album, il m’a semblé que ça pouvait être cool d’y vivre quelque temps. Enfin cool pour ma musique…

Benidorm est une ville-béton, une ville créée par l’homme sur la côte espagnole fût-elle d’une certaine beauté avant qu’un amas de tours longe le littoral. Qu’est ce qui vous a inspiré à Benidorm? Pourquoi cette ville en particulier ? 

A mes yeux, la beauté réside précisément dans cet amas de tour, pas dans le vieux village avec sa belle église. Elle parle d’une civilisation, d’une conquête. Et cet amas de tour est assez prodigieux. ce n’est pas le même qu’une ville de gratte ciel classique, ce sont des tours d’habitation, une multitude de tours élevées en rang serrés en l’espace de quelques décennies sans règles d’urbanisation. Simplement, en regardant cette ville on peut percevoir la vitesse avec laquelle ce monstre de béton s’est bâti. Aujourd’hui, on détruit les tours un peu partout en Europe, l’utopie des grands ensembles est devenue le cauchemar architectural à ne plus reproduire. A Benidorm ça reste une sorte de rêve d’une vie au soleil, en communauté de plagistes. C’est une ville vraiment paradoxale et étrange. Mais je n’ai pas fait cet album pour raconter ce qu’est cette ville ou en faire une visite guidée, je me suis servi de Benidorm comme d’un récipient pour y verser des choses ou en déverser d’autres.

Vous avez baptisé votre album Benidorm Dream, selon vous, qu’est-ce qui permet de rêver dans une ville comme celle-ci, encadrée par le métal et la folie des grandeurs ? 

J’aurais pu faire un disque sur les rêves de Mykonos, par exemple, inspiré par la lounge des petits bars troglodytes, que j’aurais composé dans un beau moulin blanc transformé en loft. Ou bien un truc qui témoigne de la vie en banlieue de Namur. Je ne sais pas si les rêves auraient fleuri ainsi et à quoi aurait ressemblé la musique…

Vous vous êtes installé et avez observé la ville vivre, de jour comme de nuit avant de composer. Racontez-nous une journée type. Vous êtes vous imposé un programme ou un itinéraire à respecter? Quelles étaient vos attentes?

J’ai passé la majeure partie de mon temps au 33ème étage d’un condominium en forme de hachoir face à une guillotine plaquée or de 200 mètres de haut. En général, je me levais vers 5 heures du matin histoire d’être prêt au lever du soleil, qui est particulièrement édifiant à Benidorm. Je le regardais toujours uniquement à travers les murailles de verre des gratte-ciels. Ensuite, je filais à la salle de sport faire un peu de musculation, avant de bosser sur mon ordi.  Je m’endormais sur ma terrasse en écoutant les mouettes mélangées aux cris des jeunes filles et des alarmes assourdies, ou en lisant quelques vers d’un poète local.

Quels souvenirs gardez–vous de cette ville ? Quelles images vous ont frappé ? 

Mes souvenirs les plus fous se sont effacés d’eux-même. Je retiens le bruit des ventilateurs superposé à celui de l’océan, les cris de singes que faisaient certaines machines à sous, mon ascenseur qui semblait avoir été sculpté dans du carton, les cages d’escalier sans fond, les piscines la nuit, les nains, les prostituées, la maison de Freddy en ruine face à la mer. Le sol jonché de KFC, les rayons de la lune sur les synthés.

En fait je ne sortais pas souvent, du moins le moins possible. Juste histoire d’aller acheter un truc au supermarché, faire le plein de donuts. J’étais vraiment en mode nerd enfermé, bien sûr j’ai été un peu partout à Benidorm mais toujours à moitié inconscient. En fait, je ne suis pas sûr de ce qu’est réellement cette ville, j’ai fait en sorte de me tenir en son centre mais pourtant à l’écart.

Vous êtes-vous inspiré des bruits intrinsèques à Bénidorm pour les samples de votre album ?  

Oui, pas mal, j’ai même enregistré des musiciens rencontrés sur place, un type qui faisait la manche dans la rue avec une flûte, je l’ai enregistré dans mon appartement avec un mauvais micro, c’est le genre de featuring qui m’excite.

Avez-vous enregistré votre album dans cette ville ? Sur quelles impressions, quels souvenirs vous êtes-vous basé pour l’enregistrer? 

J’ai enregistré ou commencé la plupart des tracks dans cette ville, ou dans un studio de cochon à Alicante, à côté. Le reste s’est fait dans mon home studio à Paris et à Grenoble, et je n’ai pas eu besoin de mes souvenirs pour cela. Ma musique vient plutôt des trous noirs. elle est cosmique.

Quelles ont été vos premières impressions en mettant le pied à Benidorm ? Et à votre départ, qu’avez-vous ressenti ? Votre image de la ville a t-elle changé entre temps ? 

La première fois je suis arrivé seul, à la tombée de la nuit, dans un bus, en hiver. Pas le meilleur moment pour apprécier une sangria. Mais quand la ville m’est apparue au détour d’une colline, je me suis pris une claque parce que c’était encore plus fort que ce que j’avais imaginé. Cette ville est une véritable vision. J’ai fait en sorte de ne pas la gâcher.

Selon vous, la musique est-elle un échappatoire à l’obscurité des gratte-ciel ? Est-ce une manière de rajouter un peu plus d’imaginaire et de folie, dans un endroit aussi organisé que Benidorm? 

Les gratte ciels peuvent être lumineux et Benidorm un chaos. Je crois que ce disque est une somme de rêves qui parfois peuvent être effrayants, abrutissants, avant de se pacifier. C’est ma vision pour cette ville, mon offrande, ma transformation, et non la représentation fidèle d’une quelconque vérité.

La notion d’optimisme et de beauté est présente dans cet album, pourquoi avoir voulu rendre hommage à la laideur ?

Faire du beau avec du beau ça peut vite devenir ennuyeux, et moche. Il est vrai que dans ce disque, en jouant avec une matière souvent grotesque et fantastique, souvent très connotée, je marche souvent sur une crête dangereuse, mais c’est précisément là où se trouve ma jouissance.

 

Koudlam – Benidorm Dream (Pan Recording Records), sortie le 13 octobre 2014