Grosse barbe et petit béret vissé sur la tête. C’est comme ça qu’est arrivé à l’interview celui que l’on blaze GooMar. Installé à une terrasse de la Grand Rue à Strasbourg en compagnie d’une forte bière et de clopes achetées en Allemagne, G2O s’est bien adapté en deux ans à la vie alsacienne. Débarqué de Paris, le beatmaker (Café gourmand, Paye ton 16, Tour de manège…) qui pèse pourtant dans la scène hip-hop indépendante, sèche les médias comme un cours de physique chimie au lycée. À 32 ans, il nous a livré une vision bienveillante et teintée d’humour sur l’art du beatmaking en France et son microcosme.

Comment en es-tu venu au beatmaking?

J’ai commencé le hip-hop instrumental en 2010. Un pote est venu rapper chez moi, je me suis mis devant mon ordi et j’ai commencé à lui faire une instrumental qui était bien nulle. Avant, je faisais de la musique électronique. De la techno en amateur, je mixais des sets drum & bass en vinyle, et de la hardtek, tout en écoutant du hip-hop depuis que je suis tout petit. J’ai toujours bossé avec un matériel tout pourri, par exemple de vieilles enceintes Philipps des années 1970, qui font craquer le son. Mais j’aime bien ce côté crado, qui ressort encore aujourd’hui dans mon hip-hop.

Et une première personne passe en saluant GooMar. A Strasbourg, le hip-hop est familial. Il lui répond tout en continuant à fabriquer ses clopes avec une tubeuse. Et il les roule à la chaîne, ça n’arrêtera pas en une heure et demi de temps. Tout en discutant et descendant sa pinte de blonde.

Et pourquoi faire du beatmaking ici à Strasbourg?

J’ai passé toute mon adolescence en banlieue parisienne et ça fait maintenant deux ans que je suis à Strasbourg. Je saturais un peu de la capitale. J’apprécie la ville, c’est en partie Géabé (rappeur d’origine strasbourgeoise) qui me l’a faite découvrir. Maintenant lui est à Paris, pour essayer de multiplier les contacts artistiques. Personnellement, je m’épanouis beaucoup plus à Strasbourg. Et artistiquement, tout se fait par internet, pas besoin d’être à Paris pour rencontrer des rappeurs. Le hip-hop c’est pas que Marseille et Paris, même si j’y reviens assez souvent, pour tourner des clips ou faire d’autres trucs.

Beaucoup de clips de Paye ton 16 ont été tournés à Paris et Goomar y apparaît à chaque fois. Car oui, Strasbourg ce n’est jamais qu’à trois heures de TGV.

Comment juges-tu la scène hip hop strasbourgeoise?

Chacun fait son petit truc dans son coin, ça manque d’unité. Dans les open mics, il n’y a personne. Les rappeurs sont trois à chaque fois. Bon ça se bouge quand même, notamment avec l’Ecole de l’Est.  Je les ai vu l’année dernière au Molodoï (salle de concert libertaire à Strasbourg), ils avaient une grosse énergie. Il y a aussi The 13 Looters, un collectif de beatmakers qui sont très bons. Ce que je reproche aussi à Strasbourg, c’est la politique culturelle de la mairie. À Strasbourg, j’ai l’impression que si tu fais pas du rock, tu n’existes pas, alors que tous les bars passent du hip-hop. J’ai aussi l’impression que le public strasbourgeois est assez exigeant. Par exemple, il y avait Lords of the Undergrounds, un groupe mythique des 90’s qui passait à Strasbourg. Ils ont foutu le feu, et pourtant le public bougeait pas, il n’y avait pas de répondant… La mairie ne donne pas non plus beaucoup de moyens aux jeunes qui veulent se lancer.

Le mec qui est à la culture à la mairie de Stras doit se réveiller ! Nous on bouge, c’est à eux de suivre, on va pas faire de la pop pour faire plaisir à la mairie.

En ce moment je bosse beaucoup avec un rappeur strasbourgeois que j’ai rencontré à Paris, Rêve Errant. On est en train de préparer un projet sur lequel je produis tous les morceaux, et j’espère que je pourrais être sur scène avec lui. J’ai aussi produit l’EP d’un autre strasbourgeois, Dah Connectah, “l’Hiver arrive”, sorti il y a trois semaines sur Bandcamp.

Quels sont tes autres projets ?

Je suis sur un projet avec Anton Serra de l’Animalerie. C’est vraiment un MC que je respecte. C’est un super performeur. Scéniquement, il est dans mon top 3. Je gère pas mal de projets de front, c’est un peu le bordel. Ça peut parfois ralentir la machine. À la rentrée je vais essayer de me stabiliser, notamment pour cet album. Comme je fais des milliards de choses en même temps, pour les rappeurs c’est parfois difficile de comprendre où je vais. Pourtant je ne vis pas de ma musique, j’en survis. Regarde, j’achète mes clopes en Allemagne… J‘ai aussi l’objectif de faire plusieurs séries de vinyles instrumentals. Je ne gagnerais surement pas d’argent mais avec le bénéfice que je ferais je pourrais peut-être ressortir un nouveau vinyle et ainsi de suite. Ça pourrait être quelque chose d’inspiration boomp bap 90’s, bien dark. J’ai déjà sorti un projet instrumental qui s’appelait “Café gourmand”, un 10 titres. L’album est dans un délire un peu cartoon, car c’était la période où je travaillais avec Hippocampe Fou, qui a construit un personnage complètement délire.

Quand on lui demande s’il a déja produit des albums entiers, GooMar se vexe gentiment, mais finit par égrener tous ces albums qu’il a produit, et qui sont souvent sortis discrètement, comme Bohemian Groove du Bohemian Club. Et il avoue que que ça lui plaît bien finalement, de sortir des morceaux par ci par là, de varier les rappeurs et les styles de beats, même la trap.

Et le live ?

Quand je joue dans des clubs ou des salles de concert, je propose plus souvent des DJ sets. Je connais mes prods et je sais lesquelles sont efficaces. Les gens, ils veulent danser, je vais pas passer du boom bap jazzy à 3h du matin quand tout les monde est arraché. Là c’est le moment de passer de la trap ou de la grime anglaise, qui me gifle à chaque fois. Souvent en live, c’est Saligo qui fait les cuts et les scratchs. C’est aussi un strasbourgeois, à la base le DJ de Géabé. On bosse sur le même sampler. Mais moi je scrachouille très mal, alors c’est lui qui s’en occupe. Saligo a lui un très bon niveau, même s’il ne faut pas le dire (rires), il risquerait de prendre la confiance… En live, je trouve que juste passer des prods c’est chiant, alors qu’accompagnées de scratch c’est tout de suite plus cool. Ça habille la musique, comme un rappeur.  Et ça, c’est comme le scratch, je laisse à ceux qui savent faire. L’écriture c’est pas mon univers. Chez les MC’s, la compétition est beaucoup plus marquée. Le rappeur va jamais dire à un autre MC que son texte est bien. C’est plus : “Ok t’as placé ton 16, maintenant à mon tour et je vais faire mieux”. Il y a aussi de l’ego dans le beatmaking mais j’ai l’impression qu’on est plus unis. Entre beatmakers on ne se connait pas mais on écoute nos musiques respectives. J’adore écouter les autres, des mecs comme Mani Deïz, JeanJass, Al Tarba, Oster Lapwass… Chaque jour j’en écoute de nouveaux.

Et le live à Strasbourg réserve des surprises. Comme cette fois ou GooMar jouait dans un petit bar du centre-ville et que le patron s’est mis à lui jeter des glaçons dessus alors qu’il était aux platines…

Tu as déjà bossé avec un nombre impressionnant de rappeurs, avec qui aimerais-tu bosser prochainement ? 

Avec Grems, j’aimerais bien. Lui aussi il rentre dans mon top 3, le mec est fou ! Sinon, j’ai le projet de créer un plateau live, c’est à dire une soirée hip-hop entière avec Dah Conectah, Rêve Errant et d’autres qui rapperaient sur le set de Saligo et moi même.

Article écrit par Benoit Collet et Guillaume Reuge
Crédits photo : Hélène Marcombes