La saison des festivals bat son plein, et l’on a voulu tester l’exotisme en allant chasser le caribou dans la forêt suédoise. Into the Valley n’en est qu’à sa deuxième édition mais a déjà de quoi bluffer : le lieu, un cratère de météores classé au patrimoine de l’Unesco, offre une acoustique sans pareil et un cadre de rêve pour déconnecter. La programmation ne laisse que peu de place au repos, nos jambes en feront les frais. Récit en mots et en images :

Into The Valley

 

La météore comme argument marketing

Après quelques heures de route entre lacs, forêts, et îles coincées entre les lacs et les forêts, on débarque à quelques 300km de Stockholm, pour rendre compte du tant prisé Into The Valley. Ce festival au site perdu au beau milieu de nulle part, dans le cratère de météores de Dalhalla, tient dans son cadre mystérieux et époustouflant 60% de son argument marketing – le line-up contenant toutes les têtes d’affiche de l’été faisant le reste.

Et comment mieux débuter une soirée d’opening qu’avec la disco party infernale de l’ami Danilo aka Motor City Drum Ensemble ? Malgré des transitions un peu brouillonnes, MCDE fait le taf en nous gratifiant de son habituel mix de disco et d’influences africaines, osant même finir très smooth avec le Another Life de D’Angelo. Seul bémol de ce premier set – même si l’artiste n’y est pour rien -, on découvre la malheureuse présence de canons à fumée de part et d’autre de la scène. Un seul mot nous vient : pourquoi ?

Mano le Tough prend la suite et enterre doucement le groove de Danilo, démarrant la transition vers un set de techno plus aérienne. Jogging et running aux pieds, des cernes gonflées et un air mal réveillé ne l’empêchent de déchaîner la foule ni de taper du pied. On est conquis par la fluidité de son set, qui ne fait en aucun cas ressentir la montée de BPM mais explose bel et bien en décibels sur la fin.

Mano Le ToughMano le Tough, aussi à l’aise sur scène que dans son canap

 

Un Back to back acheté, un Back to back amer

La soirée fut très fraîche, l’été suédois est fourbe et vous glace dès la nuit tombée. On se réveille pour ne pas louper le live de Gidge, notre duo local préféré. Deux ans qu’on cite leur album Autumn Bells comme référence d’une musique ambiante en communion avec la nature. Les bruits des feuilles ou de la pluie s’immiscent dans leur set, et l’on se croirait perdu au nord de nulle part. Ils finissent glorieusement avec leur titre You, et l’on chante en coeur leur hymne de la toundra nordique. Il est encore tôt, on se repose un peu et l’on revient pour la fin du set de Nastia, qui ose remixer un Jamiroquai plutôt bien placé.

Young Marco enchaîne avec un set de house africaine qui fait monter les degrés sous la scène de la Pyramid. Sa sélection est pointue, le corps se lâche au son des tam tam, tout comme les épaules du protagoniste qui esquissent une petite danse épique. Mais l’un des sets les plus attendus de la soirée, celui de Raresh et Sonja Moonear commence déjà. Une complicité qui fait du bien, les deux amis semblent plus qu’heureux de partager la scène. Tandis qu’ils se succèdent aux platines, le son alterne entre des ambiances minimalistes et d’autres plus techno, Sonja n’hésitant pas à rajouter une dose dansante chaque fois que vient son tour aux commandes. Raresh surprend à applaudir la foule toutes les minutes, l’ambiance est à la communion artiste-public. C’est donc à reculons qu’on remonte les longues estrades de l’amphithéâtre pour aller voir Move D. Le daron de la house UK prend la main sur les vinyles, encore peu présents dans les DJ set d’Into the Valley, et nous abreuve de sa collection personnelle.

On passe devant DJ Tennis alors qu’il retourne la foule avec le toujours efficace Inspector Norse de Todd Terje. Puis il est l’heure de redescendre sur l’emblématique scène du Théâtre, où la fin de soirée est animée par un B2B entre Ricardo Villalobos et Zip. Leur duo avait fait ses preuves au Weather Festival, mais là c’est l’hécatombe. Tandis que Zip tente d’écoper une barque qui coule, Ricardo ne porte aucune attention au public ni même à ce qu’il joue, et passe son temps le dos tourné à la scène à teuffer avec ses potes. Il se moque même de cette situation en “mixant” tout en restant de dos. L’attitude désinvolte du DJ, même si on connaît son talent hors norme, nous pousse à changer de scène.

On se tourne vers Dixon, habituel clôtureur de soirées sur des plages horaires d’ordinaire plus matinales. Après sa prestation plus que moyenne aux Nuits Sonores, on voulait donner une seconde chance au supposé DJ n°1 de la planète. Mais il ne l’a pas prise : c’est une déception, encore, pour l’ancien maître de la nuit. Son expression visuelle impassible traduit la profondeur de sa musique. C’est mou, et bien lent pour un set de closing.


Samedi, on commence par aller soigner notre gueule de bois sur la scène du Théâtre avec l’ami Four Tet. Car si MCDE est l’un des meilleurs choix pour commencer une teuf, Kieran Hebden est sans doute le plus attitré à en soigner les conséquences. On a plutôt pour habitude de voir l’anglais poser ses platines sur des sets nocturnes, mais un live de Four Tet en début d’après-midi relève tout autant de l’enchantement. Faisant abstraction du fait qu’on l’a coincé entre deux sets techno, il débute sur des résonances classiques qu’il fait ensuite basculer vers un bon quart d’heure de free jazz avant de partir sur ses fameux cuts africains. On retiendra une prouesse transitionnelle entre son KHLHI et une edit du Summer Nights In Harlem de Bill Withers, Hebden étant sans doute l’un des seuls à pouvoir triompher sur ce genre de passation.

 

Boman-Barnhus, architecte d’intérieur suédois

On enchaîne avec l’étoile locale, celle qui ameute toutes les foules : l’ami Axel Boman commence à opérer sous la scène du Temple, et une bonne partie du public suédois est là pour accueillir son gourou. Car s’il s’acoquine avec la team Pampa Records et fait le tour d’Europe des collaborations (on l’a vu avec Roman Flügel, John Talabot, Move D), Boman reste un artiste local, toujours basé à Stockholm où il promeut son label Studio Barnhus. Bref, le producteur joue aujourd’hui à domicile et ne manque pas de le montrer : la house party qu’il inflige à nos tympans endoloris de la veille est la plus belle des tortures, et nous sort de notre léthargie tardive. Le drapeau du Studio Barnhus flotte dans l’air, et un drapeau humain est désigné pour chorégraphier le tout sur scène. Pendant ce temps, Boman fait disparaître les dernières gouttes de pluie avec sa danse du soleil et finit son set sur une standing ovation, déclarant son amour et sa dévotion à la foule en clôturant sur ce grand moment de communion :

Axel boman Studio BarnhusChorégraphie du drapeau humain Studio Barnhus

Boman ira ensuite faire le con sur le set de son mate de label Kornél Kovacs, obligeant le pauvre gus à s’emmitoufler du désormais emblématique drapeau Barnhus alors qu’il mixe sa house spatiale. Ce dernier se montrant assez réticent à l’idée de devenir un étendard humain, vient alors à Axel la magique idée d’épingler le drapeau au mur derrière la scène.

Kornel Kovacs
Un soucis de feng shui ? Appelez Boman-Barnhus, label d’architecture d’intérieur suédoise depuis 2010.

La suite des aventures continue de faire dans le local : on passe voir Dorisburg et son set lunaire et perché fait son petit effet, mais la scène toujours aussi inadéquate de The Pyramid nous en chasse, fatigués du son saturé et d’une salle amputée des 2/3 de sa capacité par un bar posé en plein milieu. Entendre quelques notes d’Ellen Allien nous suffit à fuir le Temple, sa lourde techno années 2000 étant très peu adaptée à cette heure de l’après-midi – ni à n’importe laquelle, si vous nous demandez.

 

Sets sur orbite martien

Mais il y a assez à voir ailleurs : c’est au tour de Paranoid London de reprendre les rennes avec leur rave party punk sous perf d’acid house. Leur chanteur Muntado Pintado scande des paroles à peine audibles et désordonnées, donnant au live un certain goût de happening tandis que ses deux comparses se déchaînent sur les commandes. Deux producteurs survoltés et un chanteur barré, l’équation anglaise fait mouche et lorsqu’on sort d’une petite heure effrénée sous le chapiteau, on a l’impression d’avoir teuffé dans un hangar la nuit entière.

Into The Valley specimen
La pince à linge, nouvel accessoire des soirées acid house.

Parenthèse restauration-récupération et on est de retour sous le chapiteau, qu’on préfèrera ce soir face à l’habituel défilé techno du Théâtre, répétant une file de noms vus et revus sous le ciel festivalier (Dettmann, Klock, Kraviz). Et notre choix s’avère payant, car Hunee rafle dès ses premières minutes la palme du meilleur set de notre week-end. Débarquant ses influences house, disco et afro dans un mélange survitaminé, son set est le genre de ceux qui vous mettent sur orbite, votre corps se sentant soudainement obligé de danser dans un périmètre circulaire rebondissant de plus de m2 que la salle ne le permet. Bref, ça enflamme, et on aurait bien fait durer cet enchantement martien toute la soirée.

Mais il faut croire que les petits hommes verts débarqués à Dalhalla en météores poseront leurs dernières bonnes ondes ici. On assiste ensuite à un Kink en pas très grande forme, le Bulgare nous ayant habitué à plus d’énergie et de coeur à l’ouvrage. En parallèle, le défilé techno continue au pied de l’amphithéâtre et après le patron Jeff Mills, c’est Nina Kraviz qui prend les manettes pour clôturer la soirée. Son set divise, calibré pour l’heure pour certains, trop brouillon et monocorde pour d’autres. Faisant parti de ces derniers, on fait un tour du côté des autres derniers joueurs, Omar S et George Fitzgerald. Si chacun s’acquitte plutôt bien de sa tâche, rien de bien impressionnant n’est à signaler et on commence à redescendre de l’orbite, observant le festival se terminer.

 

“This is not the search for an afterparty, this is a pokemon hunt”

Mais nous n’avons pas dit notre dernier mot, car qui dit festival se terminant sur les coups de 2h, annonce aussi l’after qui suit. Pour les participants à Into the Valley, la recherche d’after est une discipline sportive majeure qui débute du milieu de la nuit jusqu’à des heures avancées. Notre trek personnel nous aventure au fin fond des chemins forestiers entourant le site, à la recherche d’une utopique parenthèse finale. Faute d’en trouver une, le petit groupe de 50 à 100 personnes formé autour de nous finira pas s’essaimer – le découragement atteignant son paroxysme quand un malin finit par lancer “This is not the search for an afterparty, this is a pokemon hunt”. Faute de choper un Aquali, on trouvera du son sur le parking, où les derniers survivants résistent face à l’envahisseur matinal – et à la sono-voiture improvisée, qui crache un son si mauvais qu’il couvre à peine la rumeur des conversations.

Into The Valley After

Into The Valley cumule de bons et mauvais points qui diffèrent souvent beaucoup de notre propre culture festivalière. Face à un public varié en styles mais qui ne se regarde pas le nombril, une liberté de dressing et de mouvements totale pour la partie féminine du public, un line-up paritaire et un cadre qui en jette quand même plus que le premier champ du coin, on peut opposer une organisation balbutiante, un son mal calibré et des prix astronomiques. Mais en définitive, le seul dépaysement d’une soirée dans un cratère météorique coincé dans un pays de lacs et de forêts valait bien le détour suédois.

After Into The Valley

On retiendra : Hunee, Gidge, Mano Le Tough, Paranoid London, Raresh et Sonja Moonear en B2B

On oubliera : Les canons à fumée, Ricardo quand il n’est pas en état de jouer, nos téléphones, la légère perte de certaines de nos capacités auditives.

Article écrit par Nina Venard et Lélia Loison