On est pas bien là, assis dans l’herbe, à décuver en écoutant Four Tet ? Certes on l’a vu il y a un mois en club, et deux mois plus tôt dans un autre festival mais hey, c’est Four Tet quand même, ça se déguste à chaque fois, non ?

 

Le festival, mot désormais utilisé à toutes les sauces – de la kermesse du voisin à l’île hongroise privatisée pendant une semaine – est devenu le sacro-saint modèle de la fête globalisée. Et si vous faites parti du 2/3 des français ayant assisté à au moins un festival cette année, il y a des chances pour que vous ayez vu plusieurs, voire beaucoup de noms se répéter au fil des affiches.

De là débarque le dur casse-tête de choisir entre Charybde et Scylla, le dilemne-type : « où aller, entre ce festival avec Laurent Garnier et celui-là avec Carl Craig ? ». Pas de panique, ils reviendront tous sur les mêmes scènes l’année prochaine.

Le festival, c’est aussi avoir des potes qui ne sortiront pas pendant un mois (voire plus) pour s’économiser un trip au Sonar ou au Dekmantel. Et qui, capables de faire 1000km pour voir les mêmes artistes que ceux qui passent dans leur ville, ne mettront les pieds dans une soirée sans DJ connu que sous promesse de rentabilité extatique.

La terreur des Ecocups

Face à cette uniformisation, l’originalité des festivals ne semble plus tenir qu’à trois sandwichs bio, deux bars à smoothies et un coucher de soleil. Se démarquer aujourd’hui, c’est trouver un cadre qui en jette un peu plus que celui du voisin.

Mais quand on parle de ce type de “festival-expérience”, on peut aussi bien évoquer l’intimité d’une crique des Andes qu’une énorme scène EDM en forme d’araignée métallique. On tombe alors dans un système où “les valeurs” d’un festival doivent se discerner par son choix de déco. Et donc dans un système qui tient plus de la visite à Disneyland que de l’événement culturel.

festival

Investir des milliers dans le cadre ok, mais insuffler de la diversité dans le line-up, trop risqué. Voilà l’avènement d’une conformité au rabais, dans laquelle les organisateurs se tirent la bourre pour obtenir l’exclu de la plus grosse tête d’affiche, celle-là même qui différenciera le reste de leur programme de celui très similaire du voisin.

Certains ne font aucun effort pour se cacher d’être une fête géante à line-up générique ce qui, à défaut de faire avancer les choses, a au moins le mérite d’être honnête. Plus en tout cas que de se penser novateur de l’extrême avec deux idées piquées à un festival étranger.

Tuer le père

Ce n’est pas parce que l’électro est le dernier grand courant musical à être né qu’il n’est pas déjà peuplé de vieux cons – ou pour la faire douce, de partisans du « c’était mieux dans les 90s ». On ne peut pas tellement leur en vouloir, leurs années avaient certes plus de gueule qu’un énième hangar avec Nina Kraviz. Mais le problème, c’est que ce sont justement ces vieux cons qui peuplent les mêmes hangars et squattent les mêmes DJ booth. Suffit de calculer la moyenne d’âge des têtes d’affiche pour flipper du taux de cholestérol derrière la scène.

La faute n’incombe pas tant à ces DJs et producteurs qui continuent de tourner, mais bien à leur sacralisation et au piédestal sur lequel on les pose, nous, public et organisateurs. Car nous étouffer de promo sur la dernière déclaration de Papi techno, c’est aussi ignorer les 50 producteurs qui se battent pour faire son opening. Et s’il faut qu’un “nouveau” soit à chaque fois adoubé par un “grand” pour qu’on lui donne de l’attention, nos soirées ressembleront bientôt à une première communion sous extas. On est très loin de cet esprit originel de l’électronique “ouverte et sans stars” qu’on nous ressasse à la pelle, cette magique époque où l’on aurait su danser sans regarder le DJ.

Le mercato des hangars

Alors pourquoi fait-on tourner en circuit fermé les mêmes têtes d’affiches, dans un milieu loin d’être en reste niveau création ? Souvent parce que mettre un Dettmann en closing – même s’il vient tout juste de passer dans le club d’à côté –  assurera toujours plus de préventes que de s’aventurer dans des terrains un peu moins safe.

dettmannPour un mouvement qui se targue d’être hors des codes, l’électro n’est pas plus différente du circuit rock où la programmation est devenue un Monopoly géant, chaque festival abattant ses cartes en fonction de celles de ses concurrents et des plannings de tournée des artistes. Peu de place possible pour l’artistique avec cette formule-là. Même un festival plus expérimental se garde toujours quelques valeurs sûres pour s’assurer d’éviter la casse financière. Résultat : combien de fois avez-vous vu Mind Against, Ben UFO ou Richie Hawtin passer cette année ?

On ne jette pas non plus la pierre à tout le système de la fête, certains organisateurs ne rechignant pas à lancer des éditions plus pointues et des programmations sans valeurs sûres. Mais ceux qui optent pour cette option s’éloignent aujourd’hui du modèle festivalier pour mieux se retrancher dans les recoins préférant la qualité du son et la bonne ambiance aux warehouse VIP de l’extrême. Ironie quand on sait que beaucoup de festivals en plein air sont nés en réponse à la claustrophobie des clubs.festivalSi on met aujourd’hui les pieds en festival comme au supermarché, et qu’on y dépense la moitié de son SMIC, ne devrait-on pas y exiger plus de qualité, d’audace, de diversité ? Oui, les programmateurs pourraient et devraient s’aventurer sur des terrains plus nouveaux. Mais tant qu’on ne leur demande pas, peu d’entre eux nous serviront d’eux-mêmes de la découverte sur un plateau : on ne va pas à Macdo commander du foie gras.

Peut-être est-ce le moment de regarder un peu en face notre culture du clubbing, et de se demander d’où vient ce décalage des publics et des mentalités, plutôt que de toujours s’estimer au dessus de « la foule de bolosses qui n’a découvert X que la semaine dernière ». À ceux qui crachent à tout va sur le Tomorrowland et son éternel trio Garrix-Guetta-Buttrich, jetez donc un regard dans le miroir la prochaine fois que vous ferez 500km pour aller voir un « super plateau » avec Dixon, Dettmann et Ben Klock.