Avez-vous déjà ingurgité des champignons hallucinogènes ? Puis essayé de dessiner sous leur influence ? Si oui, dommage : vous avez 50 ans de retard. Et votre oeuvre aurait pu être exposée à Sainte Anne.

Peu le savent, mais en plus de son statut d’hôpital psychiatrique, Sainte Anne habite également un large département de recherches en Art-Thérapie, dont les oeuvres sont exposées au Musée Singer-Polignac, aussi appelé Centre d’Etude de l’Expression. Dans celui-ci se tient une exposition gratuite, ouverte du 19 septembre au 29 novembre. Son thème ? La psilocybine.

Expo St Anne - Peindre sous hallucinogènes

Si le nom ne vous évoque pas grand-chose, rien d’anormal. La psilocybine est en fait la principale composante des champignons hallucinogènes, ces petites choses au goût âcre qui provoquent hallucinations, synesthésie, euphories, bad trips… Partant de ce constat, la suite parait évidente.

Les oeuvres exposées ici ont pratiquement toutes été créées sous l’effet de cette drogue. Jusqu’ici, rien de neuf, donc. A une exception près : elles sont le résultat d’une expérience menée en collaboration par des psychiatres et des artistes. Ayant pour but d’explorer le fonctionnement du cerveau et l’altération des capacités de ce dernier sous psilocybine, l’expérimentation a été menée par René Robert en 1960. Le résultat est surprenant et, souvent, très beau. Si on trouve dans les deux salles quelques noms connus (Henri Michaux, Jean Jacques Lebel), peu d’artistes ont ici accédé à une large popularité.

Encre - Jean Jacques Lebel

Jean Jacques Lebel – Encre

Avant même d’accéder aux salles, le visiteur est d’abord accueilli par un Dessin Sous L’Influence Du Haschisch, créé en 1853 par Jean-Martin Charcot. Célèbre neurologue de son état, l’homme a également été brièvement le professeur de Freud. Figures entremêlées, délires pornographiques, occupation totale de l’espace… L’oeuvre, pourtant celle d’un homme totalement sain d’esprit, ressemble en tout point à celle d’un aliéné. Là se trouve le propos de l’exposition, selon laquelle un esprit sous drogue créerait comme s’il était fou et/ou libre.

Jean Martin Charco

Jean-Martin Charcot – Dessin Sous L’Influence Du Haschisch

Car la liberté, il s’agit bien de ça. L’exposition étant bien documentée, on apprend en lisant le témoignage des artistes que la psilocybine leur apprend à oser, enfin’’. Chez beaucoup d’entre eux, d’ordinaire habitués au réalisme, les formes se font plus abstraites, les coups de pinceaux plus lâches et moins timides. Pierre-Xavier Laffite par exemple, dont les peintures sont classées par ordre chronologique, découvre la vitesse’’. D’ordinaire très méticuleux, attentif au moindre détail, l’artiste peint 29 oeuvres en une heure et vingt minutes. Il utilise ainsi ses mains, réduit sa gamme de couleurs et dégrade ses formes jusqu’à arriver à la plus complète des abstractions. Frénétique, il ne reste plus grand-chose de son style de peinture initial, inspiré de Bonnard. L’homme arrive très vite à ces formes que l’on retrouve sur l’affiche de l’exposition. Couleurs vives, enchevêtrements de courbes… La progression artistique est la plus impressionnante de l’exposition, comme le montrent ses traits vivaces, d’une pureté stupéfiante.

Son désir de vitesse s’explique par la perte de la notion de temps. En effet, l’usager voit défiler les secondes, les minutes sans discontinuer et souhaite ainsi pallier à la leur fuite en créant au maximum. La notion de l’espace elle aussi se perd dans les neurones embrumées du sujet. Sans repères, celui qui a consommé la psilocybine ne voit plus en trois dimensions et sa main, au plus fort des effets, ne peut que tracer des courbes et des ronds.

Ainsi, la plupart des peintures se divisent ainsi: avant l’expérimentation, le trait est totalement figuratif; pendant, les formes se perdent totalement et le rendu est plus qu’abstrait; après, l’artiste essaie de se rappeler des effets et les retranscrit de mémoire.

 Pierre-Xavier Laffite - Alto 9

Pierre-Xavier Laffite – Alto 9

Au sein de cette même salle se trouvent donc des écrits explicatifs, extraits de journaux de l’époque ou de compte-rendus d’auteurs (Michaux, par exemple). Ainsi comprend t-on que la psilocybine est également parfois utilisée par les chamans indiens, au même titre que le peyotl, pour visiter le monde des esprits.

Là s’ouvre donc l’éternel débat : la drogue ouvrerait-elle réellement aux artistes de nouvelles voies, une nouvelle manière de voir le monde? Ce n’est certainement pas un hasard si beaucoup d’entre eux, poètes, peintres ou musiciens, s’y sont essayé. Et difficile de n’attribuer cela qu’à une sensibilité trop forte, un désir de fuir le réel.

Beaucoup d’échecs pour très peu de succès, néanmoins. Toujours est-il que cette exposition apprend nombre de choses sur l’exploration de la psyché à l’aide des hallucinogènes. Ces ‘’psychonautes’’ livrent ici un témoignage rare sur ces pratiques devenues interdites. Et force est de constater, à la lecture du livre d’or de l’exposition, que beaucoup rêveraient de faire partie d’une pareille expérience, de manière plus ou moins sérieuse. Même si toutes ces choses sont à manier avec précautions (on vous passera le discours type ’’la drogue peut mener à des troubles psychiatriques’’), en un sens, nous les comprenons.

Informations pratiques

Actuellement au Musée Singer-Polignac (1, rue Cabanis 75014 Paris). 
Exposition ouverte du mercredi au dimanche de 14h à 19h jusqu’au 29 novembre 2015 – Gratuit
Plus d’informations sur le site officiel.